Article original de Radfag https://radfag.com/2016/07/09/black-kids-dont-get-to-wait-to-talk-about-police-violence-white-kids-shouldnt-either/
Je suis en ce moment entre deux emplois, et je travaille pour l’été comme moniteur dans un camp musical pour enfants de l’âge de l’école primaire. Le programme étant coûteux et élitiste, la plupart des jeunes sont blancs et d’un milieu aisé.
Trouver mes repères dans cet environnement a été particulièrement éreintant durant ces dernières semaines. [ndt : l’article original a été publié en juillet 2016] La violence de l’état et des groupes racistes à l’encontre des personnes Noires a été atroce et implacable. Ma communauté était en plein bouleversement, tandis que je me trouvais, moi, plongé dans un univers d’autosatisfaction et d’immobilisme. Des amis en larmes laissaient des messages sur mon répondeur pendant que j’étais assis en cercle avec des enfants et des adultes totalement épargnés par la terreur et la tristesse qui m’étreignaient. Ce manque de prise en compte devenait parfois insoutenable.
Durant une activité sur le cinéma muet, un formateur a présenté à mon groupe d’élèves un film sur un jeune homme qui s’engage dans l’armée confédérée. Il leur a dit en introduction : “Nous allons regarder un film sur une période compliquée de l’histoire des États-Unis. Je sauterai certaines scènes car je ne suis pas d’accord avec les images qu’elles montrent. Je voudrais que nous ne pensions pas en termes de bons et de méchants, mais en termes de Nord et de Sud. Je ne pense pas que ce soit le moment de parler de tout ça, mais quand vous serez plus grands, Il y a des thèmes importants de ce film auxquels il vous sera nécessaire de réfléchir davantage.”
J’ai senti mon estomac se tordre en réaction à ces paroles, et remarqué immédiatement que j’étais l’une des deux seules personnes de couleur dans la pièce, et la seule personne Noire. Il m’a fallu un instant pour réaliser que j’avais là un point de vue unique sur le privilège blanc en pleine action.
Ayant à regarder un film sur l’armée confédérée durant les événements de ces semaines-là, je fus choqué d’entendre dire à une salle entière d’enfants blancs et de milieu aisé – tous désignés comme doués et particulièrement brillants – qu’ils étaient encore trop jeunes pour parler du racisme. À aucun moment de ma vie de jeune personne de couleur une telle chose ne m’a jamais été dite. Je décidai que je ne pouvais attendre une autre opportunité pour mettre fin à cette discordance.
Vendredi, pendant un temps libre, j’ai fait asseoir mon groupe. Je leur ai dit que la semaine avait été dure pour moi, et que je leur faisais suffisamment confiance pour être honnête avec eux sur les raisons de cela. Je leur ai demandé de se rappeler d’un incident qui avait eu lieu lors d’une pause au parc la semaine précédente :
“Est-ce que vous vous souvenez tous, quand nous traversions la rue à côté du parc, et qu’il y avait une voiture garée en double-file sur le passage piéton ? Quelle a été votre réaction ?”
“On voulait appeler la police.”
“C’est ça. Vous vous souvenez que cette réaction m’a dérangé ? Pourquoi, à votre avis ?”
Quelques-uns se creusèrent la cervelle :
“Peut-être parce que ça n’était pas vraiment une urgence, et qu’on devrait faire le 911 seulement quand il y a une vraie urgence,”
“Non, ce n’est pas vraiment à ça que je pensais. Je vais vous apprendre une chose : Je suis Noir et dans ma communauté, beaucoup d’entre nous n’appellent pas le 911. Même si quelque chose de très grave ou d’effrayant nous arrive, nous n’appelons pas la police. Pourquoi est-ce que vous croyez qu’on ne le fait pas ?”
Ils ne voyaient pas.
Je leur ai demandé si ils connaissaient l’histoire de la police aux États-Unis, si ils savaient d’où elle venait à l’origine. Comme ils ne savaient pas, je leur ai dit que beacoup d’adultes ne le savaient pas non plus. Non avons parlé des patrouilles esclavagistes, de comment le maintien de l’ordre était devenu dans ce pays un moyen de contrôle de la propriété, et du fait que durant des générations, les personnes Noires avaient été cette propriété. Nous avons parlé du fait que des choses légales peuvent être mauvaises, et qu’enfreindre la loi peut être juste. Nous avons parlé de la façon dont “terrorisme”, dans notre climat politique actuel, est un terme que nous tendons à associer aux personnes arabes, aux personnes de religion musulmane, tout en ignorant les instances officielles qui nous terrorisent chaque jour dans nos propres villes et quartiers, et qui envahissent précisément les communautés que nous laissons passivement qualifier de “terroristes”.
La conversation a finalement roulé sur les armes à feu et la violence armée. L’un des jeunes a demandé pourquoi des gens chargés de faire cesser les conflits portaient des armes, et suggéré de désarmer entièrement la police. Nous avons terminé en revenant sur l’anecdote du parc qui avait débuté notre conversation, et nous nous sommes demandé quelles alternatives concrètes à appeler la police nous pourrions utiliser dans des situations où nous ne nous sentons pas en sécurité dans notre communauté.
Dans un certain sens, j’étais très fier de ce groupe de jeunes gens pour leur sang-froid et leur courage à avoir cette conversation. Mais j’étais en même temps frustré de voir choyer ainsi des enfants blancs -clairement mieux préparés que beaucoup de leurs homologues adultes à creuser ces questions- et de voir les excuses données pour les maintenir dans une violente position de supériorité, tout en étant si mal équipés pour réfléchir à leur pouvoir.
Comme je suis à moitié blanc, les autres personnes de couleur se tournent souvent vers moi pour leur expliquer le fonctionnement de la blancheur, espérant obtenir des indications sur la meilleure manière d’interagir avec les blancs dans leurs vies face à des problèmes d’injustice. En réalité cependant, ma proximité avec la blancheur ne m’apporte guère plus d’informations que celles que toutes les personnes de couleur connaissent déjà. Le plus triste est que ma proximité avec les blancs me donne simplement moins d’espoir pour l’avenir des luttes Noires. Je suis mieux placé pour voir combien douloureusement lent peut être le processus de changement, combien les discussions peuvent être stériles. Lors de semaines comme celle-ci, je redoute une révolution violente car je ne vois pas d’autre moyen d’obtenir des blancs qu’ils se remettent en question, qu’ils renoncent à leurs avantages, qu’ils changent.
Malgré tout, ma conversation avec ces jeunes gens blancs m’a appris une chose importante ; se représenter un monde sans police, progressant vers l’abolition, n’est pas possible si l’on ne nous donne pas très tôt les outils pour l’imaginer. C’est une vision du monde verrouillée, durablement inquestionnée et totalement dépourvue de réflexion sur elle-même, qui rend si difficile l’engagement des adultes blancs.
La “fragilité blanche” est un spectacle qui me blesse précisément parce que les blancs ont beaucoup de solidité pour faire face à leur propre violence. Ils peuvent expulser des pauvres et des personnes âgées de leur domicile pour construire de belles copropriétés sans s’émouvoir. Ils peuvent soutenir des invasions, déporter des familles, mettre des enfants en prison. Ils peuvent dépouiller des écoles et des hopitaux psychiatriques dans les communautés de couleur au profit de projets de rénovation dans les quartiers les plus riches de leur ville. Ils peuvent consommer quotidiennement des images obscènes de massacres de personnes Noires, en levant à peine les yeux de leur café.
Par contre, quand vient le moment d’examiner leur rôle, de rendre des comptes, les voilà soudain pleurnichards, soudain sensibles. Mais si cette sensibilité était réelle, si elle était autre chose qu’une esquive, elle serait apparue bien avant qu’on les force à engager le dialogue. En fait si elle existait véritablement, elle aurait dû se montrer depuis des siècles, et rien de se qui se passe aujourd’hui n’arriverait.
Quand je rentrais de l’école et que je parlais à mes parents d’une horrible insulte qu’on m’avait dite, ou de la façon cruelle dont un adulte m’avait traité, ils ne m’ont jamais dit qu’ils m’expliqueraient ce qui m’arrivait quand je serais plus grand. C’était déjà en train de se produire, et j’avais besoin d’outils pour apprendre comment me débrouiller avec ça, puisque que c’était ce qui se passait. Prêt ou pas, les adultes qui prenaient soin de moi ont dû trouver des moyens de me protéger, de me faire me sentir estimé et préparé dans un monde voué à ma destruction.
Notre extrême prudence à nous éducateurs, qui évitons d’avoir de vraies conversations avec les jeunes au sujet de leurs relations avec le racisme systémique, révèle non seulement notre lâcheté à affronter activement la domination blanche, mais aussi notre manque de compassion envers les enfants de couleur. Car même lorsque nous faisons la supposition âgiste que les enfants Noirs et Métisses sont trop jeunes pour parler de racisme, il est rarement avancé qu’ils soient trop jeunes pour vivre avec. Peu de gens se dressent pour affirmer que nos enfants sont trop jeunes pour être sans domicile, trop jeunes pour se retrouver avec des officiers de police dans leur salle de classe, trop jeunes pour avoir faim ou pour voir leur école publique fermer.
Si nous sommes à l’aise avec le fait que des enfants de couleur fassent l’expérience de ces violences, mais mal à l’aise de leur demander ce qu’ils en pensent, quelque chose va profondément de travers chez nous. Et si nous sommes encore plus prudents envers les enfants blancs qui ignorent toutes ces violences, nous contribuons activement à maintenir la domination blanche et la mort pour les personnes Noires.
Les enfants Noirs et Métisses n’ont pas le luxe de pouvoir attendre d’être prêts à se confronter au racisme. Pour que l’éducation soit anti-raciste, ce luxe ne devrait pas non plus être offert aux enfants blancs.
Et pour être clair, je ne pense pas que les enfants blancs soient le futur de la libération Noire. Je pense que le temps de la conversation est passé depuis longtemps, et que le dialogue est loin de pouvoir résoudre la violence imminente à laquelle les personnes Noires sont confrontées. Je ne crois pas à un changement des structures parce que ceux qui sont écrasés par elles demanderaient poliment à ceux qui sont aux commandes d’arrêter de les écraser.
Mais si je peux amener de jeunes blancs à réfléchir à deux fois avant d’appeler la police pour une mère célibataire essayant de déposer ses enfants à la piscine, ou pour un voisin du dessus mettant sa musique trop fort, je vais compter cela comme ma petite victoire de la semaine.
Article traduit maladroitement par mes soins et reproduit avec l’accord de l’auteur.