Articles Tagués ‘violence systémique’

Ce texte a été écrit à chaud, en supposant que j’avais bien compris la façon dont les choses se sont passées. À savoir :

Un débat sur le « racialisme »* a été organisé à Mille bâbords.

Des gens sont venu’s protester contre ce débat. Parmi elleux, les personnes non blanches sont entrées, les personnes blanches sont restées dehors en estimant que leur rôle était de soutenir la lutte de leurs camarades, pas de la mener à leur place.

Les personnes en question ont distribué un tract, pas poli du tout, et ont essayé d’empêcher par leur présence que le débat ait lieu.

Finalement, face à la goguenardise des organisateur’s (qui disent avoir montré une « patience amusée ») le conflit est devenu physique, avec essentiellement des dégâts matériels.

Les personnes qui organisaient le débat l’ont tenu ensuite, malgré ce qui venait de se passer.

Si ce résumé de l’histoire s’avérait inexact, merci de ne pas diffuser mon texte partout sur internet en le critiquant, mais de m’en informer et de me laisser y faire d’éventuelles corrections.

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Je suis triste. Évidemment que je suis triste. Durant les quelques semaines que j’ai passées à Marseille ce printemps, Mille bâbords a été LE lieu. C’est là qu’on se retrouvait, qu’on partageait les infos, qu’on discutait de quoi faire, de comment. C’est là qu’on passait chercher les tracts, t’as les clefs, on part devant ? C’est là que j’ai rencontré pas mal de camarades.

Aussi avant de rentrer dans ce qui risque de faire polémique, je voudrais commencer par rappeler que ce qui vient de se passer à Mille bâbords ne me réjouit pas. J’en suis consterné’. Je me sens personnellement touché’ par le fait que ce lieu ait vu un tel conflit se produire en ses murs. Et je me sens personnellement touché’ par le fait que des camarades s’affrontent ainsi.

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Face au racisme, je me définis comme « allié’ » des personnes qui le subissent, et particulièrement de celles qui le combattent. Cela signifie que je ressens la nécessité de combattre le racisme, mais que je ne me range pas simplement « à leurs côtés » comme si le fait qu’iels subissent le racisme et pas moi, n’avait aucune importance. Si le racisme était « ce qu’il y a en face », cela serait pertinent de le combattre ainsi, tou’s côte à côte.

Mais le racisme est un système. Il imprègne les institutions, les mécanismes sociaux, les représentations, et aussi nos esprits et nos corps, même si nous le déplorons. Il n’est pas en face de nous, il est au milieu de nous. Il est là dans cette réunion, où quand j’ai un truc à dire ça va me prendre cinq fois moins de temps pour obtenir la parole, et où j’aurai cinq fois plus de chances de ne pas être interrompu’ et d’être vraiment écouté’. Parce que moi, toi, tout le monde, on a tou’s fortement tendance à accorder plus d’importance à ce que dit une personne si elle est blanche.

J’ai à l’esprit bien des exemples où des opprimé’s ont vu leurs luttes investies par des personnes non opprimées ; pleines de bonnes intentions certes, mais qui ont cru savoir aussi bien, voire mieux qu’elles, ce qu’il convenait de faire et comment. Et qui, suprême ironie, ont bénéficié de l’avantage de ne pas subir cette oppression, pour s’imposer au sein de leurs mouvements. Là je vous donne peut-être l’impression de sortir un poncif. On le dit beaucoup, mais parce que ça se passe vraiment comme ça !

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Le mois dernier, j’ai organisé une table ronde sur le viol. Un bon tiers de la soirée a été consacré à donner à un homme des explications de base à propos du sexisme. Vingt personnes, surtout des femmes, perdant leur temps parce qu’un homme avait besoin qu’on lui explique ce qu’il aurait pu apprendre par lui-même dans une brochure. Cet homme, c’est un copain. Je m’entends bien avec lui, et ça me fait plaisir qu’il s’intéresse à ces questions.Il ne se doutait pas du tout à quel point sa présence, et sa façon « naturelle » de prendre autant de place, allait nous gêner.

Mais il faut bien faire le constat d’un gâchis. Une énième situation humiliante où des femmes doivent échouer dans leurs projets pour faire une place à leurs côtés à un homme. Il n’en est pas coupable, mais il est responsable d’être ou pas, une gêne dans notre lutte. C’est seulement en se formant, en découvrant comment fonctionne le sexisme, qu’il pourra réellement devenir un allié. Pour l’instant il est juste une personne bien intentionnée qui nous met des bâtons dans les roues.

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Sachant à quel point cela manque son but, je veux éviter de créer ce genre de situation. Je veux me battre contre le racisme d’une manière qui me semble cohérente : en limitant mes propres comportements racistes. Et pour cela, la première des choses que j’ai eu à faire était d’écouter les personnes concernées. La deuxième chose que j’ai eu à faire était de les écouter plus qu’une seule minute pour me donner bonne conscience, de les écouter vraiment et de combattre ma croyance que j’avais quelque chose de plus important à dire.

Cette croyance et ces réflexes de prendre la parole autant que je peux, de garder la parole même quand j’ai plus rien à dire, de ne pas accorder d’importance à leur parole, de les interrompre tout le temps, c’est la forme de racisme que je combats le plus activement. Ça fait environ deux ans que je me bats avec. J’ai fait des progrès : maintenant, j’arrive à m’apercevoir que je vole l’espace de parole à mes camarades, et parfois j’arrive à m’en empêcher. Je ne fais pas mon mea culpa. C’est ce dont je suis capable, c’est beaucoup et trop peu, mais c’est toujours ça.

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En tant qu’allié’, je n’ai pas à juger des moyens que se donnent les opprimé’s pour se défendre. (ou plutôt, d’abord je juge, après je réfléchis, et pour finir j’essaye de revenir au principe que ce n’est pas à moi de décider quels moyens sont corrects, appropriés, stratégiques, etc.)

Bien sûr j’ai commencé par me dire que non, pas Mille bâbords. On ne peut pas avoir une bonne raison de s’attaquer à Mille bâbords. Aux gens qui étaient dedans à ce moment-là, en fait. Mais même ! Et puis je constate : la preuve que si. Parce que clairement, ce n’était pas une « attaque », concertée et tout. De savoir ce qui allait avoir lieu, des gens ont eu mal. Iels sont venu’s. Et faute de mots, iels ont fait ce qu’iels ont pu.

Mon propre racisme me pousse à considérer mes idées et avis, comme meilleurs que ceux des opprimé’s. Ma bonne volonté imprégnée de condescendance, me donne envie de rechercher une position de pouvoir afin de mieux « apporter » mon aide qui sera tellement précieuse. Mes conseils, par exemple qu’il vaut toujours mieux « dialoguer ».

Le « dialogue » est tellement aisé pour moi, vis-à-vis de militant’s qui sont mes pairs et qui m’écouteront, que je ne vois pas pourquoi ça serait un problème. Ah bon, l’échange devient inégal quand c’est vous qui allez leur parler ? Ben dans ce cas je veux bien être votre porte-parole… (et là une petite sorcière intervient et me dit : « Ne me libère pas, je m’en charge ! »)

Ensuite je me suis dit que zut alors, iels ont vraiment fait un mauvais calcul, maintenant ça va être chaud de faire face aux critiques « vous êtes des racialistes, des gens qui règlent leurs comptes en attaquant un lieu militant ». Aux amalgames… Et puis je me reprends : c’est moi qui suis dans une position confortable, qui prétends soutenir des opprimé’s en lutte, et qui vais aller leur reprocher que leur façon de lutter me gêne pour discuter tranquillement d’elleux depuis mon canapé ?

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Un jour j’ai frappé un homme qui voulait me chatouiller sans mon consentement. Il y a eu un homme pour m’expliquer que je n’aurais pas dû. Qu’il y avait sûrement une autre solution. Et puis qu’au pire, ben il m’aurait chatouillé’, voilà, mais y avait pas besoin d’en arriver à la violence pour autant, quand même.

Tenir les poignets du type en répétant « non je déconne pas, je ne veux pas que tu me chatouilles, je supporte pas ça, arrête, je déconne pas, arrête » m’avait semblé une tentative valable de chercher une autre solution, mais comme ça n’a pas marché, ça ne compte pas.

Et ce que ça me fait, à moi, qu’un homme me chatouille alors que je ne veux pas qu’il me touche, ça non plus ça ne compte pas. C’est socialement admis, je suis censé’ lui accorder qu’il ne dépasse pas « les limites » (les mêmes pour tout le monde) et donc… me laisser faire.

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C’est à peu près ce que je veux dire au sujet des gens qui sont venus à Mille bâbords. Je pense qu’iels ne pouvaient pas accepter ce qu’on essayait de leur faire. Les gens qui ont proposé ce débat pensaient sûrement que c’était aussi inoffensif que de bêtes chatouilles… c’est à dire pas tout à fait inoffensif, iels devaient avoir conscience que ça pouvait même être plutôt vache, mais voilà, ça ne dépassait pas « les limites ». Qui sont les mêmes pour tout le monde. Le « dialogue », tout ça. Parler c’est comme chatouiller, ce n’est pas de la violence.

Et voilà que si. Voilà que des gens qui voulaient « juste parler » se sont pris des coups. Voilà qu’en face, les gens n’avaient vraiment rien d’intelligent à dire, deux trois phrases pourries et des insultes*. Qu’iels ont quand même sorti en tract, remarquez, on se demande bien pourquoi. Peut-être qu’il aurait fallu quelqu’un de plus éduqué pour les aider à l’écrire ?

Ou peut-être qu’iels se sont retrouvé’s à court de mots. À un moment tu sais que le dialogue, c’est foutu. Mais la personne en face de toi, qui a plus de pouvoir, elle s’en fout du dialogue. Ce qui compte, c’est qu’elle puisse faire ce qu’elle veut. Toi tu ne peux pas l’en empêcher, tout ce que tu as c’est « le dialogue », et elle s’en fout. En principe tu devrais faire semblant quand même, sauver les apparences. Et à la fin, remercier et rentrer chez toi.

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Pendant que je regardais le type dans les yeux en espérant qu’il allait me comprendre et s’arrêter, j’y ai vu cet éclat narquois de la personne qui a déjà décidé que tu n’as rien à lui dire, mais vas-y, cause si ça t’amuse. C’est là que j’ai perdu le contrôle et que je lui ai sauté dessus.

Je lui ai pas fait vraiment mal au type, j’avais pas prévu de le frapper, pas calculé. C’était tout sauf stratégique aussi, puisque ça me donnait le mauvais rôle, évidemment. Alors quoi, j’ai eu tort sur toute la ligne ? Eh bien en fait, voilà ce qui s’est passé : j’ai fait ce que j’ai pu, face à quelqu’un qui me faisait violence et refusait de l’entendre.

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Pour conclure, je pense comprendre les motifs de l’incursion de ces personnes à Mille Bâbords, et la façon dont ça a mal tourné. Je ne m’y serais pas pris’ comme ça, je n’aurais pas écrit ce tract-là, mais je me solidarise entièrement avec les personnes qui l’ont fait.

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Encore deux-trois choses que je voudrais souligner parce que je trouve ça important :

1. Il n’y a eu que des dégâts matériels ; pas de blessé’s, juste des trucs cassés. Pour ce qui est de l’aspect concret, nous* devons réunir quelques centaines d’euros pour les réparations et c’est réglé.

2. Les gens qui sont venu’s ne peuvent pas être comparé’s à des flics (je prends les devants car je pense que ça ne va pas tarder à être fait, comme comparaison). Les flics sont aux ordres du pouvoir, dans un rapport de force qui nous opprime et ne nous laisse pratiquement pas le choix des armes. Ici ce serait plutôt l’inverse.

3. Les gens qui sont venu’s ne peuvent pas être comparé’s à des fachos (idem, ça risque d’être dit prochainement). Les fachos viennent pour se battre, iels n’apportent pas de tracts.

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Il existe de bons textes qui expliquent, bien mieux que je ne le fais, l’importance de prendre en compte la notion de privilège blanc dans nos luttes contre les oppressions. Notamment ce texte d’Audre Lorde :

https://infokiosques.net/spip.php?article387

Il est tard, j’essaierai de mettre plus de liens demain. En attendant vous pouvez lire aussi ça. C’est choubi, pas aussi profond qu’Audre Lorde, mais ça a le mérite d’être écrit par une blanche donc ça fait moins peur.

https://www.facebook.com/EmmaFnc/photos/a.350415148628036.1073741845.237466759922876/350415155294702/?type=3&theater

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La pilule rouge, c’est un truc qui m’est tombé dessus et que j’ai commencé par regretter amèrement. Ça a démarré lentement, une rencontre par ci, une lecture par là, suivies de quelques observations, des choses que je me suis mis’ à remarquer. Ensuite ça s’est accéléré parce qu’à mesure que les problèmes m’apparaissaient, j’ai cherché des solutions mais ça ne faisait que me faire prendre conscience de plus de problèmes. Par exemple en lisant des féministes afro-américaines, des liens me sont apparus entre le sexisme qui commençait à m’obséder, et le racisme dont j’avais une vision très floue et lointaine. J’ai compris que j’étais profondément concerné’, en fait j’ai compris que j’étais blanc’, que je faisais partie du système raciste, que même mon féminisme était raciste.

Les militant’s que j’ai rencontré’s dans des discussions ou à travers des lectures, parlaient de privilèges et d’oppressions qui jusque là avaient été invisibles pour moi. Ma réalité s’est peuplée de réalités différentes, comme les bâtiments dont je remarquais tout d’un coup que l’accès était difficile pour les gens en fauteuil roulant. J’ai réalisé qu’il y avait des gens qui vivaient dans les caravanes de la zone d’accueil des gens du voyage, et qui pouvaient se retrouver privés d’eau sur un caprice de la mairie. Les pancartes « à vendre » et « à louer » qui sont trop nombreuses dans mon quartier, sont devenues des signes de la spéculation immobilière qui accompagne la gentrification.

La Françafrique, le slut-shaming, les contrôles au faciès, les viols correctifs, les centres de rétention, la Jungle de Calais, les épisiotomies abusives, Frontex, la psychiatrisation, les flashballs, la souffrance au travail, la viodéosurveillance, le business pharmaceutique, le privilège des études, la norme des corps minces, les meurtres racistes de la police, la mutilation des enfants intersexes, le système carcéral, etc, etc, etc, etc.

Souvent je me suis dit que ce serait sans fond, que cette prise de conscience et cette recherche d’intégrité me prenaient toute mon énergie et que je ne pourrais jamais explorer toutes les pistes. Ça faisait mal, j’ai cru que j’allais me cramer le cerveau, que la pilule rouge avait transformé ma vie en un cauchemar sans fin. Pourtant j’ai continué, parce que cela me paraissait indispensable. Non : parce que ne pas le faire me paraissait intolérable. Parce que j’avais appris comment apprendre, parce que mon regard continuait à s’aiguiser tout seul. La pilule rouge a déversé en moi ses molécules étranges et j’ai traversé plusieurs années de fièvre et de souffrance. Désespoir, hargne inextinguible, peur de m’isoler de plus en plus, sensation de suffoquer au milieu de toute cette merde…

Maintenant, je peux sentir que cette quête évolue mieux que je ne le prévoyais. La colère qui me submergeait à chaque nouvelle prise de conscience, m’habite toujours mais en toile de fond, comme un leitmotiv dans mes actions et réflexions. Au contraire, ces nombreuses prises de conscience que j’ai vécues comme des baffes, viennent en quelque sorte relativiser les choses que je découvre aujourd’hui. Je ne me sens pas anesthésié’ pour autant, ça me touche, mais ça ne me désespère plus. Le monde a cessé de s’écrouler autour de moi : vu que ça, c’est fait. Et je ne le regrette pas, bien au contraire ! Mes anciennes croyances sur le fait qu’un semblant de justice existerait dans tel ou tel domaine, sur la neutralité de certains auteurs, de certains outils, etc, ont disparu et j’en ai fait le deuil. Tout ça me désespérait et me prenait beaucoup d’énergie. Une fois la désillusion passée, je constate que je peux faire avec.

Mes fréquentations ont été impactées par ce chambardement qui a eu lieu dans ma vie : je ne pouvais plus supporter les gens qui tenaient des propos sexistes, et je découvrais de plus en plus le sexisme contenu dans des idées banales, dans des phrases anodines. Ça m’a forcé à faire un peu le tri dans mes relations, ça m’a éloigné de certaines personnes ; j’en ai aussi rencontré d’autres avec qui je partage plus de choses. À peu près à ce moment là, j’ai commencé à réaliser qu’il n’y avait pas un « eux » et un « nous » mais que ce sexisme, ce racisme, toutes ces oppressions, je les véhiculais autant que les autres, que c’était tout le monde. Ça m’a rendu’ plus modeste et j’ai arrêté de partir en croisade, de me retrouver sans arrêt en conflit avec les autres. Ça m’a amené’ à me pencher sur mes propres idées et comportements.

Et ça aussi, au début ça m’a paru insurmontable : tant de choses à changer, des habitudes si bien ancrées, un tel aveuglement… mais en allant dans cette direction, j’ai réalisé que le chemin m’apportait autant que les buts que je m’étais fixés, et même beaucoup plus. J’ai aussi commencé à trouver des récompenses dans mes efforts : des rencontres, des trucs que je comprenais ou qui se mettaient à s’articuler, des activités que je me refusais avant, le bricolage par exemple. Une autre forme d’humour aussi, une expression qui est devenue plus satisfaisante et en même temps plus libérée. Je m’aperçois que j’ai pris de l’aisance pour expliquer certaines choses, que je peux amener les gens à comprendre des trucs sans forcément les heurter. C’est une façon stimulante de me rendre utile, ça me pousse à creuser et ça me permet de partager.

Le chemin n’a pas de fin, c’est une idée qui m’a d’abord écrasé’. En fait ça m’a permis de revoir mes exigences à la baisse : je ne peux pas cesser totalement de véhiculer ces oppressions, je peux seulement faire de mon mieux. Je me sens à la fois réconcilié avec moi-même, et plus léger’ : je sais enfin quoi faire, par quel bout prendre le problème. Je ne suis pas un super-héros et je ne sauverai pas le monde, par contre je peux agir concrètement sans attendre le grand soir. J’ai même appris à faire des compromis dans ma vie, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai trouvé mes repères, les choses qui me vont, celles que je peux accepter, celles que je combats avec ou sans diplomatie, et celles que j’évite simplement, sans me prendre la tête, comme j’évite de manger trop pimenté ou d’avoir à marcher vite pendant mes règles.

En résumé je dirais que oui, je vais devoir m’y coller pendant le reste de ma vie, mais que je me suis formé’ à ça. Je me sens rôdé’, c’est devenu supportable et même parfois joyeux. Je suis tout simplement en chemin. Et vive la pilule rouge !

Article original : In Support of Baltimore: Or; Smashing Police Cars Is Logical Political Strategy https://radfag.wordpress.com/2015/04/26/in-support-of-baltimore-or-smashing-police-cars-is-logical-political-strategy/ sur le blog de Radical Faggot.

En Soutien à Baltimore : Ou Pourquoi Détruire des Voitures de Police Est une Stratégie Politique Logique

Émeutiers sur Camden Yards à Baltimore, brisant les fenêtres et les pare-brises de voitures de police.

En tant que nation, nous n’arrivons pas à comprendre la stratégie politique Noire, comme nous n’arrivons pas à reconnaitre la valeur de la vie d’un Noir.

Nous ne voyons que ghettos, crime, et parents absents, là où nous devrions voir des communautés luttant activement contre des crises de santé mentale et une exploitation économique préméditée. Et quand nous voyons des voitures de police être cognées, et les biens d’une grande entreprise être détruits, nous devrions y voir des réponses raisonnables à des générations d’extrême violence d’état, et des décisions logiques à propos du type d’actions à mener pour obtenir le résultat politique désiré.

Je suis atterré par le flot de critiques envers les révoltés de Baltimore ce weekend, leur reprochant de ne pas avoir manifesté dans le calme. La rhétorique de la pomme pourrie voudrait nous faire croire que la plupart des manifestants de Baltimore manifestent comme il faudrait, droit qui leur est constitutionnellement reconnu, et qu’un petit nombre perturbent la paix, jetant un discrédit sur le mouvement.

Il vaudrait mieux ignorer cette manœuvre, d’abord à cause de l’omerta quasi-totale des médias sur les actions qui se passent sur le terrain, en particulier durant ce weekend. De même, il est absurde de citer la constitution dans une manifestation pour les droits civiques des Noirs (ce document n’a pas été écrit pour nous, vous vous souvenez ?), et certainement pas dans une manifestation organisée pour attirer l’attention sur le fait que l’état enfreint presque constamment ses propres lois vis-à-vis des opprimés.

Mais il y a quelque chose qui est encore plus problématique. Se réclamer des révoltes « Black Lives Matter » (les vies des Noirs comptent), aussi bien que des réponses organiques à la violence de la police et de l’état, en se disant « non-violent » ou « pacifique », c’est occulter le climat actuel dans lequel ces mouvements agissent et la longue histoire d’émeutes et d’actions directes sur lesquelles ils se sont fondés.

Je ne recommande pas la non-violence -en particulier dans un moment comme celui auquel nous assistons actuellement. Dans l’esprit et les mots des mouvements de militantes féministes Noires et Métisses partout dans le monde, j’estime qu’il est crucial que nous voyons la non-violence comme une tactique, et non comme une philosophie.

La non-violence est une catégorie de performance politique destinée à attirer l’attention et à gagner la sympathie de ceux qui ont des privilèges. Lorsque ceux qui sont hors de la lutte -les blancs, les riches, les straights, les valides, les personnes de genre masculin- ont fait la preuve de façon répétée qu’ils ne s’en souciaient pas, qu’ils ne comptaient pas se mettre en rang de bataille pour défendre les opprimés, c’est une stratégie politique futile. Cela n’échoue pas seulement à répondre aux besoins de la communauté, mais expose réellement les opprimés à un plus grand danger de violence.

Le militantisme consiste en actions concrètes qui défendent nos communautés de la violence. Il consiste en des réponses qui touchent aux buts politiques immédiats de nos communautés, et gèrent les répercussions telles qu’elles arrivent. Il consiste à dire non, à poser et à tenir des limites, à réclamer la restitution des ressources volées. Et de la Libération Queer et du Black Power aux mouvements séculaires pour la souveraineté autochtone et à l’anti-colonialisme, c’est ainsi que nos mouvements d’opprimés ont fait des étincelles, et nous ont sans doute permis de gagner les seules victoires politiques réelles que nous avons eues sous le règne de l’empire.

Nous devons clarifier ce que nous entendons par des mots comme « violence » et « pacifisme ». Parce que, pour être clair, la violence c’est de battre, harceler, tazer, attaquer et abattre des gens Noirs, trans, migrants, femmes et queer ; et c’est cela, la réalité à laquelle beaucoup d’entre nous ont à faire chaque jour. Dire à quelqu’un d’être pacifique et jeter l’opprobre sur son militantisme ne manque pas seulement d’une compréhension politique nuancée et historique, c’est littéralement une demande irresponsable et assassine.

Les objectifs politiques des insurgés de Baltimore ne sont pas flous -exactement comme ils n’étaient pas flous lorsque des Noirs pauvres se sont insurgé à Ferguson la dernière fois. Lorsque le marché libre, la propriété privée, le gouvernement élu, le système législatif, vous ont tous montré qu’ils ne vont pas vous protéger -en fait, qu’ils sont les sources de la plupart de la violence que vous subissez- alors l’action politique se met à être de stopper, même pour un moment, la machine qui essaie de vous tuer ; de vous débarrasser de la botte posée sur votre cou, même si cela ne vous accorde qu’une seconde de respiration. C’est exactement à cela qu’il sert de bloquer des rues, d’entraver le consumérisme blanc, et de détruire ce qui est la propriété de l’état.

Les Noirs savent cela, et ont employé ces tactiques de très longue date. Les traiter de non-civilisés et les encourager à se soucier de la constitution est raciste, et l’argument échoue à se fonder non seulement sur la réalité politique violente dans laquelle les Noirs se trouvent, mais aussi sur nos traditions séculaires de résistance, qui nous ont appris des stratégies de militantisme et d’action concrète qui sont efficaces dans presque tous les autres mouvements pour la justice.

Et bien que je ne croie pas que chaque révolté impliqué dans les attaques de voitures de police et de devantures de chaines de magasins ait la même philosophie et fasse cela pour les mêmes raisons, on ne peut écarter le fait que, lorsqu’il y a un plus grand tollé national pour la défense de baies vitrées et de portières de voitures que pour de jeunes Noirs, cela montre quelque chose ; lorsque l’on prend plus soin de supporters blancs se trouvant à proximité d’une émeute, que des personnes Noires qui font face à la police, cela donne une explication de plus en plus claire de la rage et de la douleur des communautés Noires dans ce pays.

En tenant compte de tout cela, je pense que les évènements de ce weekend soulèvent d’importantes questions pour les futures actions militantes et directes de tous nos mouvements. En plus de coordonner nos objectifs, de forger nos messages et nos types d’action, nous avons besoin de réfléchir soigneusement à ce que pourraient être les résultats de l’action militante sur le long terme. Les stratégies que je suggère, et les questions importantes auxquelles je pense que nous devrions essayer de répondre tandis que nous projetons des actions politiques ou nous y trouvons impliqués, sont celles-ci :

Nuisons-nous à l’état et à la propriété privée, ou nuisons-nous à des personnes, des communautés et des ressources naturelles ? L’effet de notre action perturbe-t-il l’état et la violence du monde des affaires, ou crée-t-il des dommages collatéraux auxquels les plus opprimés seront confrontés (par exemple des familles Noires, des petits entrepreneurs, du personnel d’entretien, etc) ? Imitons-nous la violence d’état en nuisant à des personnes et à l’environnement, ou frappons-nous la propriété de l’état d’une manière qui peut stopper ou ralentir la violence ? Diabolisons-nous le système ou des personnes ?

Qui se trouve dans les parages ? Faisons-nous du mal à des gens alentour quand nous agissons ? Y a-t-il une possibilité de violence pour ceux qui ne sont pas les cibles désignées de notre action ? Impliquons-nous de force dans une action des gens dont la plupart ne le voudraient pas, ou qui ne sont pas prêts pour ça ?

Qui est impliqué dans l’action ? Les gens sont-ils impliqués dans notre action de manière consensuelle, ou simplement parce qu’ils se trouvent dans les parages ? Avons-nous créé des possibilités de partir pour les gens de toutes capacités qui pourraient ne pas vouloir être présents ? Sommes-nous stratégiques dans le choix du lieu et la disposition des corps ? Si notre action a des répercussions violentes, qui y sera exposé ?

Nous devons tenter de répondre à autant de ces questions que possible avant que nos actions aient lieu, si possible en phases organisées. Nous avons aussi besoin de plans de repli et d’options pour changer nos actions sur le moment si les conditions convenues ne sont pas réunies au moment de passer à l’action.

J’ai haussé les épaules quand l’enquête à Ferguson a révélé le « scandale » de mails racistes échangés au sein du gouvernement local, y compris par des gens haut placés du département de police. Je pense que beaucoup d’entre nous savent qu’une enquête sur plus ou moins n’importe quel département de police produirait des trouvailles similaires. Les émeutes de Baltimore ont maintenant montré bien des points communs entre la politique et la direction des deux villes. Quelle sorte d’action a mis en lumière aux yeux des moins concernés ce que les Noirs ont toujours su ? Quelles sortes d’actions seront nécessaires pour faire largement comprendre que tout maintien de l’ordre est un terrorisme raciste, et que la justice ne pourra advenir qu’avec son abolition définitive ?

Black power, Queer power, le pouvoir à Baltimore et à toutes les personnes opprimées qui savent de quoi il est temps.

Article original : Feeling Is Not Weakness: Sadness, Mourning and Movement https://radfag.wordpress.com/2015/05/14/feeling-is-not-weakness-sadness-mourning-and-movement/ sur le blog de Radical Faggot.

Sentiment n’est pas faiblesse : tristesse, deuil et mouvement

Martinez Sutton prend la parole à propos du meurtre de sa sœur Rekia Boyd

Alors que nous construisons notre force collective, comment faisons-nous pour nous autoriser aussi à être vulnérables ?

Beaucoup de mouvements qui ont lieu en ce moment, à une échelle globale (mais en particulier aux États-Unis) représentent des changements politiques que j’ai espéré depuis aussi loin que je me souvienne. De sorte qu’il est difficile de comprendre pourquoi je me suis senti aussi triste ces derniers mois. Cette tristesse est en partie faite de deuil. Chaque jour, il y a de nouveaux noms de femmes trans, d’ados, de gens queer, de pères, de mères, de bébés qui ont été assassinés par la police, ou absorbés dans les prisons. J’entends leurs histoires, je suis témoin des détails révoltants sur les vidéos, gavé de violence implacable. Je suis en deuil face à la perte de leurs voix, leur sagesse, leur lumière. Je pleure pour leurs familles, notre famille. Je suis en deuil des vies de ces jeunes opprimés, de la violence à laquelle ils sont ou seront bientôt confrontés. Mais une autre partie de cette tristesse vient de quelque chose d’autre. Elle vient de la confrontation à une réalité politique qu’il serait, en fait, plus facile d’ignorer. Beaucoup d’entre nous arrivent à se lever le matin, à survivre dans notre quotidien, en n’examinant pas notre oppression de front – en tout cas pas systématiquement. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de ressentir la rage et la douleur qui nous reviennent constamment. Ce n’est pas tenable. Cependant l’émergence d’un mouvement signifie, précisément, une confrontation. Cela crée de nombreux exutoires pour l’expression de cette rage et de cette douleur. Ce qui, en retour, implique de vivre au milieu de notre propre réalité de violence, d’une façon que sinon nous éviterions intentionnellement. En tant que personne racisée qui a longtemps vécu dans des espaces blancs de classe moyenne, j’ai l’habitude de devoir expliquer ad nauseam ma vision des choses de personne opprimée, et j’ai l’habitude de la voir mise de côté. J’ai l’habitude d’être traité avec condescendance par des gens qui n’ont jamais fait l’expérience des épreuves que je vis, et qu’on me dise que je suis trop jeune pour parler des réalités historiques de mon propre peuple. Mais même si l’organisation actuelle expose au grand jour la suffisance blanche, étayant les revendications fatiguées des communautés Noire et Métisse, et même si des membres de ma communauté prennent conscience du véritable état et des objectifs réels des forces de l’ordre dans ce pays, une petite et étrange partie de moi a été révélée. Une toute petite, étrange et triste partie de moi qui aurait voulu qu’ils aient raison, que j’aie exagéré, qui aurait voulu que j’aie inventé tout ça. La légitimation de toutes ces années où j’ai supplié et débattu ne m’a pas permis de me sentir justifié ou plus fort, mais triste. Je suis triste d’avoir raison, triste que notre réalité soit aussi horrible que je l’ai toujours senti. Ironiquement, la vision que j’ai longtemps pressé les autres d’avoir est soudain une chose dont je voudrais pouvoir me détourner. En effet, une autre composante de ma tristesse est de mesurer véritablement ce qu’est la réalité sociale, politique et économique des Noirs et des Métisses dans ce pays. Tandis que les soulèvements, de Ferguson à Baltimore, en ont amené certains à discuter de la violence d’état et de l’apartheid moderne, pour ceux d’entre nous qui vivent cela au quotidien, les mouvements actuels pour la justice nous ont révélé que nos expériences de violence n’étaient ni localisées, ni isolées. Au lieu de connaître simplement les histoires vécues par nos familles, nos amis, et nos propres démêlées avec la justice, on trouve soudain une documentation (inter)nationale sur à quel point nous sommes sans cesse harcelés, emprisonnés, tués, et à quel point l’état peut se permettre de faire ça impunément. Nos témoignages -bien que décisifs dans nos propres vies- se retrouvent soudain, et de manière déstabilisante, situés dans un contexte global, et l’abrupte décompte des morts dresse un tableau qui d’une certaine façon est plus laid encore que lorsque cela concernait seulement notre immeuble, notre voisinage ou notre ville. Il est triste de réaliser que ce n’est pas juste un policier, juste un service. Il est triste de réaliser qu’il y a tout un réseau conçu pour nous faire du mal, et pour protéger ceux qui nous font du mal. Il est déprimant de réaliser à quel point l’étendue de l’empire est redoutable. Qui plus est, ma tristesse comporte de la culpabilité. Je suis coupable d’être triste. La tristesse sent la faiblesse. Je sais très bien que l’enjeu de la propagande contre nous, l’enjeu des meurtres d’état, des acquittements de policiers, du harcèlement et des emprisonnements, est la démoralisation. Je me sens coupable d’être démoralisé. Je devrais être en colère. Je devrais être enflammé d’une passion inextinguible. Je devrais me montrer aussi implacable que l’état. Si je suis triste, l’état a gagné. Si je suis triste, le combat est terminé. Ce que, depuis peu, j’essaie d’avoir à l’esprit, c’est : humanité n’est pas faiblesse. Ce n’est pas une idée dont je viens de prendre conscience, mais que je viens de me donner la permission d’habiter. Les sentiments, bien qu’ils puissent me rendre vulnérable, ne me rendent pas faible. Le deuil est ce que j’ai à faire lorsque des gens que j’aime me sont pris. Souffrir à cause des douloureuses réalités que mon peuple et moi-même vivons, est plus que compréhensible. Cela montre que je n’ai pas succombé, que je n’ai pas accepté la réalité courante, violente, que je n’ai pas abandonné la croyance en ma propre valeur. Les qualités qui rendent l’état accablant, sont celles-là mêmes qui le rendent faible. Une froide dévotion au profit, à l’amassement grotesque de ressources au dépend de la communauté, du peuple et de la planète, ce n’est pas de la force. Il n’y a, en fait, rien de plus triste que de croire au sacrifice de la vie contre des choses matérielles, du contrôle, et du pouvoir. La violence la plus intense -que nous voyons encore accélérer- , l’effacement intentionnel de l’histoire, l’usage de la force militaire, la mise à l’isolement, la négation de droits élémentaires, les attaques, les abus, ne feront jamais cesser nos communautés de ressentir. Cela ne mettra jamais fin à notre amour pour nos propres vies, pour les vies de nos ancêtres, pour les vies de nos enfants. Cela ne nous dissuadera jamais de riposter. Ma tristesse prouve mon amour, et mon amour prouve que je suis mené par de profonds liens spirituels envers mon peuple – passé, présent et à venir. Et exactement comme il serait inapproprié pour nous d’ignorer la violence, d’ignorer la réalité politique de notre oppression, il serait tout aussi inapproprié de faire comme si cela ne nous avait pas atteint, comme si cela ne nous atteignait pas. Être touché par quelque chose ne veut pas dire être faible. Et même, cela montre la présence de toutes les qualités que l’état ne possède pas, toutes les qualités qui font que le combat en vaut la peine, et qui rendent la réalisation de la justice aussi belle que possible. Faire semblant de ne pas être triste, dissimuler ma tristesse, ne me rendra pas plus fort. Étouffer mon véritable moi, renier la peur et la rage qui entourent la perte, c’est cela qui à long terme m’affaiblirait. Quand nous parlons de prendre soin de soi, de se préserver, il nous faut non seulement parler de surmonter notre chagrin, mais de l’autoriser, de lui faire de la place. Il nous faut parler de bâtir un mouvement qui nous autorise à ressentir, de toutes les façons possibles, et qui n’attende pas de nous que nous effacions ou refoulions notre tristesse au nom de l’organisation, du commandement ou de l’activisme. N’avançons pas de manière si décidée que nous ne nous arrêtions pour faire nos deuils. Nous avons le droit de pleurer pour nos pertes, pour nous-mêmes, pour nos familles, pour nos ancêtres. Laissons ce chagrin faire partie de la construction du mouvement, accordons-lui un espace sacré, et laissons-le construire en nous la compassion qui nous propulsera vers de nouvelles batailles.