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Mardi 14 février à Besançon, 19 étudiantes et étudiants étaient tabassé.e.s et arrêté.e.s sur ordre de la direction de l’université. Ils et elles ont passé 24h en garde à vue, et même 48h pour deux d’entre eux.

Parmi tous les mauvais traitements infligés à nos camarades par la police, il est important de mentionner les humiliations supplémentaires, sexistes, subies par celles qui avaient leurs règles. Elles ont dû quémander des protections hygiéniques au su de tout le monde, n’ont pu disposer que de toilettes dégoûtantes, plongées dans le noir, dont la porte ne fermait pas, puis ont dû transporter et jeter leurs protections usagées, non emballées, sous les yeux des policiers.
 
Pire encore : les flics ont refusé à leurs prisonniers et prisonnières l’accès à leurs traitements médicaux, ce qui est gravement maltraitant, et dangereux. Or, huit des gardé.e.s à vue étaient des femmes cisgenres, et certaines d’entre elles prennent la pilule. Une interruption de ce traitement rend potentiellement fécondants des rapports sexuels ultérieurs, mais aussi antérieurs. Les femmes jeunes, étant particulièrement fertiles, peuvent d’autant moins se permettre une interruption de traitement contraceptif.

De fait, l’une d’entre elles prend la pilule, avait eu des rapports la veille de l’arrestation, et a été privée arbitrairement de sa contraception durant toute la garde à vue. Elle n’a pu prendre un contraceptif d’urgence que presque trois jours après une éventuelle fécondation ! Sa dernière chance de pallier à cette privation de contraception est d’autant plus maigre que l’efficacité de la « pilule du lendemain » diminue rapidement au fil des heures.

La police a donc délibérément exposé notre camarade, et sept autres personnes qui auraient pu être concernées, à un risque important de grossesse non désirée. Nous attendons à ses côtés de connaître le résultat du test de grossesse qu’elle effectuera dès que ce sera possible, et dénonçons cette violence inacceptable et hautement sexiste.

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La pilule rouge, c’est un truc qui m’est tombé dessus et que j’ai commencé par regretter amèrement. Ça a démarré lentement, une rencontre par ci, une lecture par là, suivies de quelques observations, des choses que je me suis mis’ à remarquer. Ensuite ça s’est accéléré parce qu’à mesure que les problèmes m’apparaissaient, j’ai cherché des solutions mais ça ne faisait que me faire prendre conscience de plus de problèmes. Par exemple en lisant des féministes afro-américaines, des liens me sont apparus entre le sexisme qui commençait à m’obséder, et le racisme dont j’avais une vision très floue et lointaine. J’ai compris que j’étais profondément concerné’, en fait j’ai compris que j’étais blanc’, que je faisais partie du système raciste, que même mon féminisme était raciste.

Les militant’s que j’ai rencontré’s dans des discussions ou à travers des lectures, parlaient de privilèges et d’oppressions qui jusque là avaient été invisibles pour moi. Ma réalité s’est peuplée de réalités différentes, comme les bâtiments dont je remarquais tout d’un coup que l’accès était difficile pour les gens en fauteuil roulant. J’ai réalisé qu’il y avait des gens qui vivaient dans les caravanes de la zone d’accueil des gens du voyage, et qui pouvaient se retrouver privés d’eau sur un caprice de la mairie. Les pancartes « à vendre » et « à louer » qui sont trop nombreuses dans mon quartier, sont devenues des signes de la spéculation immobilière qui accompagne la gentrification.

La Françafrique, le slut-shaming, les contrôles au faciès, les viols correctifs, les centres de rétention, la Jungle de Calais, les épisiotomies abusives, Frontex, la psychiatrisation, les flashballs, la souffrance au travail, la viodéosurveillance, le business pharmaceutique, le privilège des études, la norme des corps minces, les meurtres racistes de la police, la mutilation des enfants intersexes, le système carcéral, etc, etc, etc, etc.

Souvent je me suis dit que ce serait sans fond, que cette prise de conscience et cette recherche d’intégrité me prenaient toute mon énergie et que je ne pourrais jamais explorer toutes les pistes. Ça faisait mal, j’ai cru que j’allais me cramer le cerveau, que la pilule rouge avait transformé ma vie en un cauchemar sans fin. Pourtant j’ai continué, parce que cela me paraissait indispensable. Non : parce que ne pas le faire me paraissait intolérable. Parce que j’avais appris comment apprendre, parce que mon regard continuait à s’aiguiser tout seul. La pilule rouge a déversé en moi ses molécules étranges et j’ai traversé plusieurs années de fièvre et de souffrance. Désespoir, hargne inextinguible, peur de m’isoler de plus en plus, sensation de suffoquer au milieu de toute cette merde…

Maintenant, je peux sentir que cette quête évolue mieux que je ne le prévoyais. La colère qui me submergeait à chaque nouvelle prise de conscience, m’habite toujours mais en toile de fond, comme un leitmotiv dans mes actions et réflexions. Au contraire, ces nombreuses prises de conscience que j’ai vécues comme des baffes, viennent en quelque sorte relativiser les choses que je découvre aujourd’hui. Je ne me sens pas anesthésié’ pour autant, ça me touche, mais ça ne me désespère plus. Le monde a cessé de s’écrouler autour de moi : vu que ça, c’est fait. Et je ne le regrette pas, bien au contraire ! Mes anciennes croyances sur le fait qu’un semblant de justice existerait dans tel ou tel domaine, sur la neutralité de certains auteurs, de certains outils, etc, ont disparu et j’en ai fait le deuil. Tout ça me désespérait et me prenait beaucoup d’énergie. Une fois la désillusion passée, je constate que je peux faire avec.

Mes fréquentations ont été impactées par ce chambardement qui a eu lieu dans ma vie : je ne pouvais plus supporter les gens qui tenaient des propos sexistes, et je découvrais de plus en plus le sexisme contenu dans des idées banales, dans des phrases anodines. Ça m’a forcé à faire un peu le tri dans mes relations, ça m’a éloigné de certaines personnes ; j’en ai aussi rencontré d’autres avec qui je partage plus de choses. À peu près à ce moment là, j’ai commencé à réaliser qu’il n’y avait pas un « eux » et un « nous » mais que ce sexisme, ce racisme, toutes ces oppressions, je les véhiculais autant que les autres, que c’était tout le monde. Ça m’a rendu’ plus modeste et j’ai arrêté de partir en croisade, de me retrouver sans arrêt en conflit avec les autres. Ça m’a amené’ à me pencher sur mes propres idées et comportements.

Et ça aussi, au début ça m’a paru insurmontable : tant de choses à changer, des habitudes si bien ancrées, un tel aveuglement… mais en allant dans cette direction, j’ai réalisé que le chemin m’apportait autant que les buts que je m’étais fixés, et même beaucoup plus. J’ai aussi commencé à trouver des récompenses dans mes efforts : des rencontres, des trucs que je comprenais ou qui se mettaient à s’articuler, des activités que je me refusais avant, le bricolage par exemple. Une autre forme d’humour aussi, une expression qui est devenue plus satisfaisante et en même temps plus libérée. Je m’aperçois que j’ai pris de l’aisance pour expliquer certaines choses, que je peux amener les gens à comprendre des trucs sans forcément les heurter. C’est une façon stimulante de me rendre utile, ça me pousse à creuser et ça me permet de partager.

Le chemin n’a pas de fin, c’est une idée qui m’a d’abord écrasé’. En fait ça m’a permis de revoir mes exigences à la baisse : je ne peux pas cesser totalement de véhiculer ces oppressions, je peux seulement faire de mon mieux. Je me sens à la fois réconcilié avec moi-même, et plus léger’ : je sais enfin quoi faire, par quel bout prendre le problème. Je ne suis pas un super-héros et je ne sauverai pas le monde, par contre je peux agir concrètement sans attendre le grand soir. J’ai même appris à faire des compromis dans ma vie, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai trouvé mes repères, les choses qui me vont, celles que je peux accepter, celles que je combats avec ou sans diplomatie, et celles que j’évite simplement, sans me prendre la tête, comme j’évite de manger trop pimenté ou d’avoir à marcher vite pendant mes règles.

En résumé je dirais que oui, je vais devoir m’y coller pendant le reste de ma vie, mais que je me suis formé’ à ça. Je me sens rôdé’, c’est devenu supportable et même parfois joyeux. Je suis tout simplement en chemin. Et vive la pilule rouge !

Encore un billet repiqué sur mon ancien blog, je vous avais prévenu de ma flemme sans limites. Il date un peu, j’y parle en tant que femme ; à vrai dire, face au sexisme, être pas-un-homme peut aussi bien s’appeler comme ça.

Je veux parler de mes fantasmes, non pour ajouter à ce blog une touche croustillante, mais parce que je suis toujours surpris’ d’y retrouver toute l’étendue des violences sexistes qui existent dans la réalité. Moi qui lutte pour que les femmes obtiennent respect et conditions de vie épanouissantes, je reproduis et cultive à plaisir en mon for intérieur les violences et les injustices que je dénonce. Quelle est cette étrange contradiction ?

Sans entrer dans les détails (j’espère ne pas causer de trop cruelles déceptions) ma branlothèque personnelle semble de prime abord tout droit tirée de Sade ou de Réage. Mais une différence me paraît cruciale : chez eux, cette violence est assortie d’un discours justificateur. Rien de tel dans mes fantasmes ; la brutale dissymétrie entre mon personnage (et éventuellement d’autres femmes) et les hommes y est un donné qui non seulement n’est pas justifié mais ne saurait l’être.

Bien au contraire, l’arbitraire de la situation est dans chaque scénario un élément central, mis en valeur par la conscience exacerbée qu’en ont tous les protagonistes. En ceci mon univers diffère également de la réalité, où la plupart des violences sexistes font l’objet d’un déni global, tant de la part de leurs témoins que de leurs auteurs, et souvent de leurs victimes mêmes. À lui seul, cet arbitraire explicite fait de la violence dans mes fantasmes quelque chose de très différent des violences invisibles, légitimées ou banalisées que subissent les femmes.

Mais au fait, d’où viennent-ils, ces fantasmes ? Libido, je désire. Que désiré-je en tant que femme, qui s’apparenterait à de telles violences ? Que ce soit bien clair : rien que je veuille en réalité ; le désir n’est pas l’expression d’une volonté, il émane directement de notre expérience émotionnelle. Quelle expérience émotionnelle peut faire qu’une femme désire le genre de violences qu’elle va probablement subir dans la société ? Tout simplement son éducation de dominée, qui sert notamment à lui façonner une libido de dominée.

On nous fait désirer être ce que j’appelle la princesse, c’est à dire un objet docile livré au bon plaisir des hommes. Bien sûr, ce n’est pas ainsi que nous est présenté notre condition(nement), mais sous une forme édulcorée et assortie d’arguments variés. C’est pourtant de là, selon moi, que naissent tant mon goût pour la soumission jouée du BDSM ou celle, imaginaire, de mes fantasmes, que les dispositions grâce auxquelles une soumission bien réelle est obtenue des femmes dans la plupart des circonstances de leur vie.

Toi qui parles de viol, tu as déjà été violé ?

Tu te sens inquiet quand tu entends le mot « viol » ? Ou triste ?

Ça te perturbe ? Ça t’empêche de finir ta phrase ?

Est-ce que ton corps réagi à ce mot comme à un courant d’air glacial ?

Est-ce que des images insupportables surgissent lorsque tu l’entends ?

Toi qui plaisantes sur le consentement, as-tu déjà eu à porter la responsabilité et la honte d’une violence qu’on t’a fait ? Est-ce que quelqu’un t’a demandé pourquoi tu n’avais pas fui au lieu de te faire casser la gueule ? Est-ce que quelqu’un t’as demandé pourquoi tu n’étais pas resté chez toi le jour où tu as eu trois côtes cassées ? Est-ce que tu as entendu de la réprobation dans la voix d’un médecin pendant qu’il te faisait des points de suture ?

Toi qui parles de viol, tu penses aux viols dans les films ou aux infos. Tu penses aux filles perdues que tu ne connais pas mais que tu imagines bien – trop bien, réfléchis-y. Mais tu ne penses pas à moi. Pourtant, je suis juste à côté de toi quand tu dis ça. J’entends ton mot d’humour et surtout j’entends combien je n’existe pas, combien je ne peux pas être ici, dans la même pièce que toi, car c’est tellement une exception, une rareté, cela n’arrive tellement qu’aux autres -aux femmes des autres- que tu ne peux pas imaginer que j’en sois une. Une victime de viol. Ou juste une femme inquiète de subir un viol, car toutes les femmes sont obligées d’y penser, toutes.

C’est parce que tu ignores tout cela que tu peux rire. Et je parle d’une attitude. Ce que je te dis ici, tu l’as déjà entendu, tu pourrais le savoir et le prendre en compte, mais tu l’ignores. Et après avoir lu cela, tu continueras probablement à l’ignorer la plupart du temps, confortablement installé dans ta position de personne ordinaire. Je dis ordinaire, car être un homme est la norme, et ne pas l’être est l’exception ; car être suffisamment privilégié pour se sentir à l’abri de la violence est la norme, et les autres ne font pas partie de ton monde.

Toi qui parles si légèrement de viol, est-ce que tu te vois, là, en train d’approuver cette violence ? Est-ce que tu te vois en train de redoubler cette violence ? Parce que c’est ce que tu fais, ce que tu viens encore de faire, mais tu ne peux pas le voir car ça ne colle pas avec l’image de mec bien, gentil et responsable, que tu as de toi et que tu veux donner -à tes pairs. Cette image, tu ne la vois pas comme telle, tu penses qu’elle reflète fidèlement qui tu es ; mais celles qui ne sont pas tes pairs, ceux qui ne sont pas de ton monde, pourraient te dire qu’elle est trompeuse, si seulement ils pouvaient te dire quoi que ce soit.

D’abord, c’était une simple expérience, inspirée du précieux article de Corinne Monnet : http://infokiosques.net/spip.php?article239. Si les hommes prennent l’espace de parole et contrôlent le cours des conversations sans qu’on n’en sache rien (et eux non plus) qu’en est-il de l’espace physique de la rue et des trajectoires des passants ?

J’ai marché droit devant moi, sans m’écarter pour croiser les passants. C’était beaucoup plus difficile que je ne l’aurais cru ; j’ai failli me casser la gueule en luttant contre mes propres jambes, qui me déviaient spontanément… mais j’ai tenu bon, mes jambes ont fini par m’obéir à peu près et j’ai pu constater que la réalité était pire que mes pires soupçons.

Les petits accrochages, évitements à la dernière minute où on se frôle et où on se gêne un peu, concernaient beaucoup plus d’hommes que de femmes. Les coups d’épaules échangés avec des passants plus réticents se sont produits systématiquement avec des hommes, très souvent blancs et dans la cinquantaine. Les trois occurrences de bloquage face à face ont eu lieu avec trois hommes blancs autour de la cinquantaine.

Mais les femmes, alors ? Quand j’ai vu ce qu’elles faisaient, je me suis dit, quelle andouille, j’aurais pu m’en douter puisque moi qui ai été socialisé’ comme une femme, je fais toujours ainsi. Les femmes s’écartent, mais sans se faire remarquer : elles tiennent compte des passants qu’elles vont croiser et modifient leur trajectoire cinq bons mètres à l’avance ! Souvent peu, mais continuellement.

Ainsi, personne ne s’avise que s’écarter n’est pas l’habitude de tout le monde ou d’une seule, mais celle de toutes les femmes. Chaque femme y voit les bases de la politesse, et non l’anticipation d’un accrochage. Les hommes, a priori, ne voient rien du tout : ils marchent, tout simplement.

En fouillant dans ma mémoire, je retrouve des souvenirs de cet apprentissage : d’abord des accrochages, puis la prise de conscience du problème (mais hélas pas du genre du problème) ensuite un changement volontaire de mes habitudes, pour en arriver aujourd’hui à une attitude spontanée, d’apparence naturelle, et bien difficile à combattre.

En fouillant encore, je trouve une étape « poussette » : à l’époque, il m’a fallu tenir encore plus compte des passants, car je ne pouvais pas toujours m’écarter et jamais au dernier moment.

Après, c’est le black-out : l’oubli complet de ce parcours d’apprentissage et l’impossibilité de m’apercevoir de quoi que ce soit. Sans le questionnement précis que m’a suggéré une réflexion acharnée sur le sexisme, cette cécité serait restée bien en place !

Maintenant que ce premier constat est fait, je voudrais conduire une expérience rigoureuse et à plus grande échelle, qui ne laisserait plus place aux doutes (les miens y compris). Je pense à une amie qui est anthropologue, mais n’hésitez pas à vous intéresser à ce projet et à en parler autour de vous !

Et bien sûr, je vais continuer à ne pas céder le pas aux hommes. Il ne manquerait plus que ça ! Bon, ça reste difficile : dès que je pense à autre chose, je recommence à louvoyer. Mais ce qui a été appris peut se désapprendre…