Vos autres

Publié: 4 octobre 2021 par Spangle dans cris
Tags:, ,
deltaplaneurs se préparant à l'envol

La douleur est une sensation. C’est un signal qui nous incite à nous soustraire à sa cause, pour nous protéger. La peur aussi est un signal de danger, et pourtant il y a des gens qui se jettent dans le vide accroché·e·s à quelques morceaux de toile et de métal. Et qui volent. Leur peur est une sensation agréable qu’on appellera par exemple « frisson », terme plus positif. Iels aiment voler, dépasser les limites terrestres des humain·e·s, mais aussi éprouver cette peur intense et maîtrisée. Et heureusement pour ces apprenti·e·s oiseaux, personne n’y trouve à redire.

Marcher pieds nus dans l’herbe, manger épicé procure des sensations que certain·e·s aiment et d’autres pas. Les un·e·s ne traitent pas les autres de malades pour autant. Qui glousserait en imaginant les deltaplaneurses dans leur harnais, gigotant sur leur barre pour se diriger ? Qui confondrait leur vertige exquis avec la peur affreuse d’un·e conducteurice qui voit arriver droit sur ellui la voiture d’en face ? Qui réduirait leur pratique à la sensation de peur qu’iels en tirent, qu’elle soit comprise ou non ?

C’est à ces réactions vexantes, à ces amalgames ineptes que nous, adeptes du BDSM, sommes sans cesse confronté·e·s. Le plus souvent sans pouvoir rien objecter : nous sommes vivement incité·e·s à ne pas étaler nos pratiques déviantes au grand jour. Question de pudeur, de savoir-vivre. Et aussi : dire, ou plutôt avouer qu’on aime partager des liens, des coups, dans nos jeux amoureux, c’est se classer parmi celleux qu’on sait si mal compris·es, qu’on vient d’entendre railler ; c’est s’exposer à toutes sortes de plaisanteries douteuses, voire à des comportements déplacés. Puisqu’on « aime ça ».

Alors nous nous taisons, nous vous proposons vite un autre sujet de conversation pour ne pas en entendre plus. Ou bien ça ne passe pas. Après avoir grimacé le sourire attendu, nous sortons fumer une clope et nous annonçons bientôt qu’il est tard, qu’on se lève demain, bref qu’on se casse, merci pour la soirée. Grand ras-le-bol du silence imposé, du mépris, de la honte. Je vous demande de ne plus faire comme si « les sado-masos » étaient forcément « les autres », des gens très loin de vous, très différent·e·s, et que vous pouviez rire d’elleux en toute innocence, sans blesser personne.

Article original de Radfag https://radfag.com/2016/07/09/black-kids-dont-get-to-wait-to-talk-about-police-violence-white-kids-shouldnt-either/

Rassemblement de jeunes dans la banlieue ouest de Chicago après le meurtre de Pierre Loury, 16 ans, par la police de Chicago. Crédit Photo : Love and Struggle Photos

Je suis en ce moment entre deux emplois, et je travaille pour l’été comme moniteur dans un camp musical pour enfants de l’âge de l’école primaire. Le programme étant coûteux et élitiste, la plupart des jeunes sont blancs et d’un milieu aisé.

Trouver mes repères dans cet environnement a été particulièrement éreintant durant ces dernières semaines. [ndt : l’article original a été publié en juillet 2016] La violence de l’état et des groupes racistes à l’encontre des personnes Noires a été atroce et implacable. Ma communauté était en plein bouleversement, tandis que je me trouvais, moi, plongé dans un univers d’autosatisfaction et d’immobilisme. Des amis en larmes laissaient des messages sur mon répondeur pendant que j’étais assis en cercle avec des enfants et des adultes totalement épargnés par la terreur et la tristesse qui m’étreignaient. Ce manque de prise en compte devenait parfois insoutenable.

Durant une activité sur le cinéma muet, un formateur a présenté à mon groupe d’élèves un film sur un jeune homme qui s’engage dans l’armée confédérée. Il leur a dit en introduction : “Nous allons regarder un film sur une période compliquée de l’histoire des États-Unis. Je sauterai certaines scènes car je ne suis pas d’accord avec les images qu’elles montrent. Je voudrais que nous ne pensions pas en termes de bons et de méchants, mais en termes de Nord et de Sud. Je ne pense pas que ce soit le moment de parler de tout ça, mais quand vous serez plus grands, Il y a des thèmes importants de ce film auxquels il vous sera nécessaire de réfléchir davantage.”

J’ai senti mon estomac se tordre en réaction à ces paroles, et remarqué immédiatement que j’étais l’une des deux seules personnes de couleur dans la pièce, et la seule personne Noire. Il m’a fallu un instant pour réaliser que j’avais là un point de vue unique sur le privilège blanc en pleine action.

Ayant à regarder un film sur l’armée confédérée durant les événements de ces semaines-là, je fus choqué d’entendre dire à une salle entière d’enfants blancs et de milieu aisé – tous désignés comme doués et particulièrement brillants – qu’ils étaient encore trop jeunes pour parler du racisme. À aucun moment de ma vie de jeune personne de couleur une telle chose ne m’a jamais été dite. Je décidai que je ne pouvais attendre une autre opportunité pour mettre fin à cette discordance.

Vendredi, pendant un temps libre, j’ai fait asseoir mon groupe. Je leur ai dit que la semaine avait été dure pour moi, et que je leur faisais suffisamment confiance pour être honnête avec eux sur les raisons de cela. Je leur ai demandé de se rappeler d’un incident qui avait eu lieu lors d’une pause au parc la semaine précédente :

“Est-ce que vous vous souvenez tous, quand nous traversions la rue à côté du parc, et qu’il y avait une voiture garée en double-file sur le passage piéton ? Quelle a été votre réaction ?”

“On voulait appeler la police.”

“C’est ça. Vous vous souvenez que cette réaction m’a dérangé ? Pourquoi, à votre avis ?”

Quelques-uns se creusèrent la cervelle :

“Peut-être parce que ça n’était pas vraiment une urgence, et qu’on devrait faire le 911 seulement quand il y a une vraie urgence,”

“Non, ce n’est pas vraiment à ça que je pensais. Je vais vous apprendre une chose : Je suis Noir et dans ma communauté, beaucoup d’entre nous n’appellent pas le 911. Même si quelque chose de très grave ou d’effrayant nous arrive, nous n’appelons pas la police. Pourquoi est-ce que vous croyez qu’on ne le fait pas ?”

Ils ne voyaient pas.

Je leur ai demandé si ils connaissaient l’histoire de la police aux États-Unis, si ils savaient d’où elle venait à l’origine. Comme ils ne savaient pas, je leur ai dit que beacoup d’adultes ne le savaient pas non plus. Non avons parlé des patrouilles esclavagistes, de comment le maintien de l’ordre était devenu dans ce pays un moyen de contrôle de la propriété, et du fait que durant des générations, les personnes Noires avaient été cette propriété. Nous avons parlé du fait que des choses légales peuvent être mauvaises, et qu’enfreindre la loi peut être juste. Nous avons parlé de la façon dont “terrorisme”, dans notre climat politique actuel, est un terme que nous tendons à associer aux personnes arabes, aux personnes de religion musulmane, tout en ignorant les instances officielles qui nous terrorisent chaque jour dans nos propres villes et quartiers, et qui envahissent précisément les communautés que nous laissons passivement qualifier de “terroristes”.

La conversation a finalement roulé sur les armes à feu et la violence armée. L’un des jeunes a demandé pourquoi des gens chargés de faire cesser les conflits portaient des armes, et suggéré de désarmer entièrement la police. Nous avons terminé en revenant sur l’anecdote du parc qui avait débuté notre conversation, et nous nous sommes demandé quelles alternatives concrètes à appeler la police nous pourrions utiliser dans des situations où nous ne nous sentons pas en sécurité dans notre communauté.

Dans un certain sens, j’étais très fier de ce groupe de jeunes gens pour leur sang-froid et leur courage à avoir cette conversation. Mais j’étais en même temps frustré de voir choyer ainsi des enfants blancs -clairement mieux préparés que beaucoup de leurs homologues adultes à creuser ces questions- et de voir les excuses données pour les maintenir dans une violente position de supériorité, tout en étant si mal équipés pour réfléchir à leur pouvoir.

Comme je suis à moitié blanc, les autres personnes de couleur se tournent souvent vers moi pour leur expliquer le fonctionnement de la blancheur, espérant obtenir des indications sur la meilleure manière d’interagir avec les blancs dans leurs vies face à des problèmes d’injustice. En réalité cependant, ma proximité avec la blancheur ne m’apporte guère plus d’informations que celles que toutes les personnes de couleur connaissent déjà. Le plus triste est que ma proximité avec les blancs me donne simplement moins d’espoir pour l’avenir des luttes Noires. Je suis mieux placé pour voir combien douloureusement lent peut être le processus de changement, combien les discussions peuvent être stériles. Lors de semaines comme celle-ci, je redoute une révolution violente car je ne vois pas d’autre moyen d’obtenir des blancs qu’ils se remettent en question, qu’ils renoncent à leurs avantages, qu’ils changent.

Malgré tout, ma conversation avec ces jeunes gens blancs m’a appris une chose importante ; se représenter un monde sans police, progressant vers l’abolition, n’est pas possible si l’on ne nous donne pas très tôt les outils pour l’imaginer. C’est une vision du monde verrouillée, durablement inquestionnée et totalement dépourvue de réflexion sur elle-même, qui rend si difficile l’engagement des adultes blancs.

La “fragilité blanche” est un spectacle qui me blesse précisément parce que les blancs ont beaucoup de solidité pour faire face à leur propre violence. Ils peuvent expulser des pauvres et des personnes âgées de leur domicile pour construire de belles copropriétés sans s’émouvoir. Ils peuvent soutenir des invasions, déporter des familles, mettre des enfants en prison. Ils peuvent dépouiller des écoles et des hopitaux psychiatriques dans les communautés de couleur au profit de projets de rénovation dans les quartiers les plus riches de leur ville. Ils peuvent consommer quotidiennement des images obscènes de massacres de personnes Noires, en levant à peine les yeux de leur café.

Par contre, quand vient le moment d’examiner leur rôle, de rendre des comptes, les voilà soudain pleurnichards, soudain sensibles. Mais si cette sensibilité était réelle, si elle était autre chose qu’une esquive, elle serait apparue bien avant qu’on les force à engager le dialogue. En fait si elle existait véritablement, elle aurait dû se montrer depuis des siècles, et rien de se qui se passe aujourd’hui n’arriverait.

Quand je rentrais de l’école et que je parlais à mes parents d’une horrible insulte qu’on m’avait dite, ou de la façon cruelle dont un adulte m’avait traité, ils ne m’ont jamais dit qu’ils m’expliqueraient ce qui m’arrivait quand je serais plus grand. C’était déjà en train de se produire, et j’avais besoin d’outils pour apprendre comment me débrouiller avec ça, puisque que c’était ce qui se passait. Prêt ou pas, les adultes qui prenaient soin de moi ont dû trouver des moyens de me protéger, de me faire me sentir estimé et préparé dans un monde voué à ma destruction.

Notre extrême prudence à nous éducateurs, qui évitons d’avoir de vraies conversations avec les jeunes au sujet de leurs relations avec le racisme systémique, révèle non seulement notre lâcheté à affronter activement la domination blanche, mais aussi notre manque de compassion envers les enfants de couleur. Car même lorsque nous faisons la supposition âgiste que les enfants Noirs et Métisses sont trop jeunes pour parler de racisme, il est rarement avancé qu’ils soient trop jeunes pour vivre avec. Peu de gens se dressent pour affirmer que nos enfants sont trop jeunes pour être sans domicile, trop jeunes pour se retrouver avec des officiers de police dans leur salle de classe, trop jeunes pour avoir faim ou pour voir leur école publique fermer.

Si nous sommes à l’aise avec le fait que des enfants de couleur fassent l’expérience de ces violences, mais mal à l’aise de leur demander ce qu’ils en pensent, quelque chose va profondément de travers chez nous. Et si nous sommes encore plus prudents envers les enfants blancs qui ignorent toutes ces violences, nous contribuons activement à maintenir la domination blanche et la mort pour les personnes Noires.

Les enfants Noirs et Métisses n’ont pas le luxe de pouvoir attendre d’être prêts à se confronter au racisme. Pour que l’éducation soit anti-raciste, ce luxe ne devrait pas non plus être offert aux enfants blancs.

Et pour être clair, je ne pense pas que les enfants blancs soient le futur de la libération Noire. Je pense que le temps de la conversation est passé depuis longtemps, et que le dialogue est loin de pouvoir résoudre la violence imminente à laquelle les personnes Noires sont confrontées. Je ne crois pas à un changement des structures parce que ceux qui sont écrasés par elles demanderaient poliment à ceux qui sont aux commandes d’arrêter de les écraser.

Mais si je peux amener de jeunes blancs à réfléchir à deux fois avant d’appeler la police pour une mère célibataire essayant de déposer ses enfants à la piscine, ou pour un voisin du dessus mettant sa musique trop fort, je vais compter cela comme ma petite victoire de la semaine.

Article traduit maladroitement par mes soins et reproduit avec l’accord de l’auteur.

Mardi 14 février à Besançon, 19 étudiantes et étudiants étaient tabassé.e.s et arrêté.e.s sur ordre de la direction de l’université. Ils et elles ont passé 24h en garde à vue, et même 48h pour deux d’entre eux.

Parmi tous les mauvais traitements infligés à nos camarades par la police, il est important de mentionner les humiliations supplémentaires, sexistes, subies par celles qui avaient leurs règles. Elles ont dû quémander des protections hygiéniques au su de tout le monde, n’ont pu disposer que de toilettes dégoûtantes, plongées dans le noir, dont la porte ne fermait pas, puis ont dû transporter et jeter leurs protections usagées, non emballées, sous les yeux des policiers.
 
Pire encore : les flics ont refusé à leurs prisonniers et prisonnières l’accès à leurs traitements médicaux, ce qui est gravement maltraitant, et dangereux. Or, huit des gardé.e.s à vue étaient des femmes cisgenres, et certaines d’entre elles prennent la pilule. Une interruption de ce traitement rend potentiellement fécondants des rapports sexuels ultérieurs, mais aussi antérieurs. Les femmes jeunes, étant particulièrement fertiles, peuvent d’autant moins se permettre une interruption de traitement contraceptif.

De fait, l’une d’entre elles prend la pilule, avait eu des rapports la veille de l’arrestation, et a été privée arbitrairement de sa contraception durant toute la garde à vue. Elle n’a pu prendre un contraceptif d’urgence que presque trois jours après une éventuelle fécondation ! Sa dernière chance de pallier à cette privation de contraception est d’autant plus maigre que l’efficacité de la « pilule du lendemain » diminue rapidement au fil des heures.

La police a donc délibérément exposé notre camarade, et sept autres personnes qui auraient pu être concernées, à un risque important de grossesse non désirée. Nous attendons à ses côtés de connaître le résultat du test de grossesse qu’elle effectuera dès que ce sera possible, et dénonçons cette violence inacceptable et hautement sexiste.

araignee_seigneur_0

Bailli exerçant son dur métier

Toute ressemblance… hein, bon, on s’est compris.

Bailli

Le bailli ou le sénéchal étaient des représentants du roi dans de petits territoires : le bailliage et la sénéchaussée. […]

Au Moyen Âge

À partir de la fin du XIIème siècle, le domaine royal s’agrandissant, le roi en tant que seigneur de ces territoires, ne pouvait être présent partout. Il nommait alors un bailli ou un sénéchal pour exercer son autorité seigneuriale : percevoir ses impôts seigneuriaux, rendre sa justice seigneuriale, rassembler les contingents d’hommes que la seigneurie devait envoyer à l’armée royale (le service d’ost). Les baillis ont été des agents efficaces pour imposer l’autorité du roi face aux autres autorités locales (les autres seigneurs régionaux, les évêques, les municipalités…).

Dans les Temps modernes

À l’origine les baillis étaient recrutés parmi la noblesse d’épée. Mais à partir du XVIème siècle on pouvait acheter cette charge et même en cumuler plusieurs. Au début du XVIème siècle il y avait 86 bailliages et en 1789 près de 400. La taille des bailliages était très variable et leurs limites souvent imprécises, ce qui provoquait des contestations d’autorité.

À partir du XVIème siècle, les bailliages deviennent surtout des tribunaux d’appel pour les procès devant le tribunal du prévôt royal ou les tribunaux seigneuriaux. Ils sont des tribunaux de première instance pour les nobles, les affaires de biens ecclésiastiques et certaines affaires criminelles. Ils disposent alors d’un personnel nombreux de fonctionnaires. Le bailliage servait aussi de cadre territorial pour l’élection des députés aux états-généraux.

Pompé sur : https://fr.vikidia.org/wiki/Bailli

Si c’est une bonne chose de donner la parole à Pénélope Fillon, comme semble l’avoir fait Envoyé Spécial, alors pourquoi est-ce que je me sens mal à l’aise en l’écoutant ?

le_couple_fillon_au_meeting_de_la_villette_reuters

Le reportage du Sunday Telegraph montre une femme touchante, qui vit une vie triste qu’elle n’a pas choisie, une vie qui n’est pas ce qu’elle voulait vivre. Mais aujourd’hui, cette vidéo devient une « preuve » ; l’équivalent humain d’un simple relevé téléphonique.

Il y a dix ans, pour une fois, une journaliste a voulu savoir qui elle était ; ou plutôt qui était l’épouse de son mari, certes. Mais ce que l’on voit dans la vidéo, ce qu’elle raconte, c’est qui elle est, elle. Ce qu’est sa vie à elle, assez loin de son mari en fait.

Elle s’était exprimée en tant que personne, c’est cette parole que la journaliste avait recueillie. Eh bien non : même cette vidéo se transforme en un document à propos de son mari. Elle est, elle restera, elle n’est que, l’épouse de son mari.

*

Souligner le sexisme d’un autre âge qui règne dans le couple Fillon, comme l’a fait Mediapart, ce devrait être une bonne chose également. Mais qu’on s’appelle Mediapart, Fadela Amara ou Riposte Laïque, dénoncer le sexisme dans un autre but que de rendre la société moins sexiste, ça s’appelle de l’instrumentalisation.

Plaindre Pénélope Fillon dans le but de gêner son mari en campagne, ce n’est pas la plaindre, c’est l’accabler. S’en prendre à elle n’est pas un problème en soi : cette femme a commis une fraude conséquente, cela mérite d’être dénoncé. Mais l’honnêteté voudrait alors que Mediapart se comporte ouvertement en adversaire de Pénélope Fillon, et non en moraliste.

En se donnant l’air de voler au secours de Pénélope Fillon, Mediapart se sert d’elle et lui confisque la parole, exactement comme le fait son sinistre époux. On avait connu mieux.

Ce texte a été écrit à chaud, en supposant que j’avais bien compris la façon dont les choses se sont passées. À savoir :

Un débat sur le « racialisme »* a été organisé à Mille bâbords.

Des gens sont venu’s protester contre ce débat. Parmi elleux, les personnes non blanches sont entrées, les personnes blanches sont restées dehors en estimant que leur rôle était de soutenir la lutte de leurs camarades, pas de la mener à leur place.

Les personnes en question ont distribué un tract, pas poli du tout, et ont essayé d’empêcher par leur présence que le débat ait lieu.

Finalement, face à la goguenardise des organisateur’s (qui disent avoir montré une « patience amusée ») le conflit est devenu physique, avec essentiellement des dégâts matériels.

Les personnes qui organisaient le débat l’ont tenu ensuite, malgré ce qui venait de se passer.

Si ce résumé de l’histoire s’avérait inexact, merci de ne pas diffuser mon texte partout sur internet en le critiquant, mais de m’en informer et de me laisser y faire d’éventuelles corrections.

***

Je suis triste. Évidemment que je suis triste. Durant les quelques semaines que j’ai passées à Marseille ce printemps, Mille bâbords a été LE lieu. C’est là qu’on se retrouvait, qu’on partageait les infos, qu’on discutait de quoi faire, de comment. C’est là qu’on passait chercher les tracts, t’as les clefs, on part devant ? C’est là que j’ai rencontré pas mal de camarades.

Aussi avant de rentrer dans ce qui risque de faire polémique, je voudrais commencer par rappeler que ce qui vient de se passer à Mille bâbords ne me réjouit pas. J’en suis consterné’. Je me sens personnellement touché’ par le fait que ce lieu ait vu un tel conflit se produire en ses murs. Et je me sens personnellement touché’ par le fait que des camarades s’affrontent ainsi.

***

Face au racisme, je me définis comme « allié’ » des personnes qui le subissent, et particulièrement de celles qui le combattent. Cela signifie que je ressens la nécessité de combattre le racisme, mais que je ne me range pas simplement « à leurs côtés » comme si le fait qu’iels subissent le racisme et pas moi, n’avait aucune importance. Si le racisme était « ce qu’il y a en face », cela serait pertinent de le combattre ainsi, tou’s côte à côte.

Mais le racisme est un système. Il imprègne les institutions, les mécanismes sociaux, les représentations, et aussi nos esprits et nos corps, même si nous le déplorons. Il n’est pas en face de nous, il est au milieu de nous. Il est là dans cette réunion, où quand j’ai un truc à dire ça va me prendre cinq fois moins de temps pour obtenir la parole, et où j’aurai cinq fois plus de chances de ne pas être interrompu’ et d’être vraiment écouté’. Parce que moi, toi, tout le monde, on a tou’s fortement tendance à accorder plus d’importance à ce que dit une personne si elle est blanche.

J’ai à l’esprit bien des exemples où des opprimé’s ont vu leurs luttes investies par des personnes non opprimées ; pleines de bonnes intentions certes, mais qui ont cru savoir aussi bien, voire mieux qu’elles, ce qu’il convenait de faire et comment. Et qui, suprême ironie, ont bénéficié de l’avantage de ne pas subir cette oppression, pour s’imposer au sein de leurs mouvements. Là je vous donne peut-être l’impression de sortir un poncif. On le dit beaucoup, mais parce que ça se passe vraiment comme ça !

***

Le mois dernier, j’ai organisé une table ronde sur le viol. Un bon tiers de la soirée a été consacré à donner à un homme des explications de base à propos du sexisme. Vingt personnes, surtout des femmes, perdant leur temps parce qu’un homme avait besoin qu’on lui explique ce qu’il aurait pu apprendre par lui-même dans une brochure. Cet homme, c’est un copain. Je m’entends bien avec lui, et ça me fait plaisir qu’il s’intéresse à ces questions.Il ne se doutait pas du tout à quel point sa présence, et sa façon « naturelle » de prendre autant de place, allait nous gêner.

Mais il faut bien faire le constat d’un gâchis. Une énième situation humiliante où des femmes doivent échouer dans leurs projets pour faire une place à leurs côtés à un homme. Il n’en est pas coupable, mais il est responsable d’être ou pas, une gêne dans notre lutte. C’est seulement en se formant, en découvrant comment fonctionne le sexisme, qu’il pourra réellement devenir un allié. Pour l’instant il est juste une personne bien intentionnée qui nous met des bâtons dans les roues.

***

Sachant à quel point cela manque son but, je veux éviter de créer ce genre de situation. Je veux me battre contre le racisme d’une manière qui me semble cohérente : en limitant mes propres comportements racistes. Et pour cela, la première des choses que j’ai eu à faire était d’écouter les personnes concernées. La deuxième chose que j’ai eu à faire était de les écouter plus qu’une seule minute pour me donner bonne conscience, de les écouter vraiment et de combattre ma croyance que j’avais quelque chose de plus important à dire.

Cette croyance et ces réflexes de prendre la parole autant que je peux, de garder la parole même quand j’ai plus rien à dire, de ne pas accorder d’importance à leur parole, de les interrompre tout le temps, c’est la forme de racisme que je combats le plus activement. Ça fait environ deux ans que je me bats avec. J’ai fait des progrès : maintenant, j’arrive à m’apercevoir que je vole l’espace de parole à mes camarades, et parfois j’arrive à m’en empêcher. Je ne fais pas mon mea culpa. C’est ce dont je suis capable, c’est beaucoup et trop peu, mais c’est toujours ça.

***

En tant qu’allié’, je n’ai pas à juger des moyens que se donnent les opprimé’s pour se défendre. (ou plutôt, d’abord je juge, après je réfléchis, et pour finir j’essaye de revenir au principe que ce n’est pas à moi de décider quels moyens sont corrects, appropriés, stratégiques, etc.)

Bien sûr j’ai commencé par me dire que non, pas Mille bâbords. On ne peut pas avoir une bonne raison de s’attaquer à Mille bâbords. Aux gens qui étaient dedans à ce moment-là, en fait. Mais même ! Et puis je constate : la preuve que si. Parce que clairement, ce n’était pas une « attaque », concertée et tout. De savoir ce qui allait avoir lieu, des gens ont eu mal. Iels sont venu’s. Et faute de mots, iels ont fait ce qu’iels ont pu.

Mon propre racisme me pousse à considérer mes idées et avis, comme meilleurs que ceux des opprimé’s. Ma bonne volonté imprégnée de condescendance, me donne envie de rechercher une position de pouvoir afin de mieux « apporter » mon aide qui sera tellement précieuse. Mes conseils, par exemple qu’il vaut toujours mieux « dialoguer ».

Le « dialogue » est tellement aisé pour moi, vis-à-vis de militant’s qui sont mes pairs et qui m’écouteront, que je ne vois pas pourquoi ça serait un problème. Ah bon, l’échange devient inégal quand c’est vous qui allez leur parler ? Ben dans ce cas je veux bien être votre porte-parole… (et là une petite sorcière intervient et me dit : « Ne me libère pas, je m’en charge ! »)

Ensuite je me suis dit que zut alors, iels ont vraiment fait un mauvais calcul, maintenant ça va être chaud de faire face aux critiques « vous êtes des racialistes, des gens qui règlent leurs comptes en attaquant un lieu militant ». Aux amalgames… Et puis je me reprends : c’est moi qui suis dans une position confortable, qui prétends soutenir des opprimé’s en lutte, et qui vais aller leur reprocher que leur façon de lutter me gêne pour discuter tranquillement d’elleux depuis mon canapé ?

***

Un jour j’ai frappé un homme qui voulait me chatouiller sans mon consentement. Il y a eu un homme pour m’expliquer que je n’aurais pas dû. Qu’il y avait sûrement une autre solution. Et puis qu’au pire, ben il m’aurait chatouillé’, voilà, mais y avait pas besoin d’en arriver à la violence pour autant, quand même.

Tenir les poignets du type en répétant « non je déconne pas, je ne veux pas que tu me chatouilles, je supporte pas ça, arrête, je déconne pas, arrête » m’avait semblé une tentative valable de chercher une autre solution, mais comme ça n’a pas marché, ça ne compte pas.

Et ce que ça me fait, à moi, qu’un homme me chatouille alors que je ne veux pas qu’il me touche, ça non plus ça ne compte pas. C’est socialement admis, je suis censé’ lui accorder qu’il ne dépasse pas « les limites » (les mêmes pour tout le monde) et donc… me laisser faire.

*

C’est à peu près ce que je veux dire au sujet des gens qui sont venus à Mille bâbords. Je pense qu’iels ne pouvaient pas accepter ce qu’on essayait de leur faire. Les gens qui ont proposé ce débat pensaient sûrement que c’était aussi inoffensif que de bêtes chatouilles… c’est à dire pas tout à fait inoffensif, iels devaient avoir conscience que ça pouvait même être plutôt vache, mais voilà, ça ne dépassait pas « les limites ». Qui sont les mêmes pour tout le monde. Le « dialogue », tout ça. Parler c’est comme chatouiller, ce n’est pas de la violence.

Et voilà que si. Voilà que des gens qui voulaient « juste parler » se sont pris des coups. Voilà qu’en face, les gens n’avaient vraiment rien d’intelligent à dire, deux trois phrases pourries et des insultes*. Qu’iels ont quand même sorti en tract, remarquez, on se demande bien pourquoi. Peut-être qu’il aurait fallu quelqu’un de plus éduqué pour les aider à l’écrire ?

Ou peut-être qu’iels se sont retrouvé’s à court de mots. À un moment tu sais que le dialogue, c’est foutu. Mais la personne en face de toi, qui a plus de pouvoir, elle s’en fout du dialogue. Ce qui compte, c’est qu’elle puisse faire ce qu’elle veut. Toi tu ne peux pas l’en empêcher, tout ce que tu as c’est « le dialogue », et elle s’en fout. En principe tu devrais faire semblant quand même, sauver les apparences. Et à la fin, remercier et rentrer chez toi.

***

Pendant que je regardais le type dans les yeux en espérant qu’il allait me comprendre et s’arrêter, j’y ai vu cet éclat narquois de la personne qui a déjà décidé que tu n’as rien à lui dire, mais vas-y, cause si ça t’amuse. C’est là que j’ai perdu le contrôle et que je lui ai sauté dessus.

Je lui ai pas fait vraiment mal au type, j’avais pas prévu de le frapper, pas calculé. C’était tout sauf stratégique aussi, puisque ça me donnait le mauvais rôle, évidemment. Alors quoi, j’ai eu tort sur toute la ligne ? Eh bien en fait, voilà ce qui s’est passé : j’ai fait ce que j’ai pu, face à quelqu’un qui me faisait violence et refusait de l’entendre.

***

Pour conclure, je pense comprendre les motifs de l’incursion de ces personnes à Mille Bâbords, et la façon dont ça a mal tourné. Je ne m’y serais pas pris’ comme ça, je n’aurais pas écrit ce tract-là, mais je me solidarise entièrement avec les personnes qui l’ont fait.

***

Encore deux-trois choses que je voudrais souligner parce que je trouve ça important :

1. Il n’y a eu que des dégâts matériels ; pas de blessé’s, juste des trucs cassés. Pour ce qui est de l’aspect concret, nous* devons réunir quelques centaines d’euros pour les réparations et c’est réglé.

2. Les gens qui sont venu’s ne peuvent pas être comparé’s à des flics (je prends les devants car je pense que ça ne va pas tarder à être fait, comme comparaison). Les flics sont aux ordres du pouvoir, dans un rapport de force qui nous opprime et ne nous laisse pratiquement pas le choix des armes. Ici ce serait plutôt l’inverse.

3. Les gens qui sont venu’s ne peuvent pas être comparé’s à des fachos (idem, ça risque d’être dit prochainement). Les fachos viennent pour se battre, iels n’apportent pas de tracts.

***

Il existe de bons textes qui expliquent, bien mieux que je ne le fais, l’importance de prendre en compte la notion de privilège blanc dans nos luttes contre les oppressions. Notamment ce texte d’Audre Lorde :

https://infokiosques.net/spip.php?article387

Il est tard, j’essaierai de mettre plus de liens demain. En attendant vous pouvez lire aussi ça. C’est choubi, pas aussi profond qu’Audre Lorde, mais ça a le mérite d’être écrit par une blanche donc ça fait moins peur.

https://www.facebook.com/EmmaFnc/photos/a.350415148628036.1073741845.237466759922876/350415155294702/?type=3&theater

pilule-rouge-600x230

La pilule rouge, c’est un truc qui m’est tombé dessus et que j’ai commencé par regretter amèrement. Ça a démarré lentement, une rencontre par ci, une lecture par là, suivies de quelques observations, des choses que je me suis mis’ à remarquer. Ensuite ça s’est accéléré parce qu’à mesure que les problèmes m’apparaissaient, j’ai cherché des solutions mais ça ne faisait que me faire prendre conscience de plus de problèmes. Par exemple en lisant des féministes afro-américaines, des liens me sont apparus entre le sexisme qui commençait à m’obséder, et le racisme dont j’avais une vision très floue et lointaine. J’ai compris que j’étais profondément concerné’, en fait j’ai compris que j’étais blanc’, que je faisais partie du système raciste, que même mon féminisme était raciste.

Les militant’s que j’ai rencontré’s dans des discussions ou à travers des lectures, parlaient de privilèges et d’oppressions qui jusque là avaient été invisibles pour moi. Ma réalité s’est peuplée de réalités différentes, comme les bâtiments dont je remarquais tout d’un coup que l’accès était difficile pour les gens en fauteuil roulant. J’ai réalisé qu’il y avait des gens qui vivaient dans les caravanes de la zone d’accueil des gens du voyage, et qui pouvaient se retrouver privés d’eau sur un caprice de la mairie. Les pancartes « à vendre » et « à louer » qui sont trop nombreuses dans mon quartier, sont devenues des signes de la spéculation immobilière qui accompagne la gentrification.

La Françafrique, le slut-shaming, les contrôles au faciès, les viols correctifs, les centres de rétention, la Jungle de Calais, les épisiotomies abusives, Frontex, la psychiatrisation, les flashballs, la souffrance au travail, la viodéosurveillance, le business pharmaceutique, le privilège des études, la norme des corps minces, les meurtres racistes de la police, la mutilation des enfants intersexes, le système carcéral, etc, etc, etc, etc.

Souvent je me suis dit que ce serait sans fond, que cette prise de conscience et cette recherche d’intégrité me prenaient toute mon énergie et que je ne pourrais jamais explorer toutes les pistes. Ça faisait mal, j’ai cru que j’allais me cramer le cerveau, que la pilule rouge avait transformé ma vie en un cauchemar sans fin. Pourtant j’ai continué, parce que cela me paraissait indispensable. Non : parce que ne pas le faire me paraissait intolérable. Parce que j’avais appris comment apprendre, parce que mon regard continuait à s’aiguiser tout seul. La pilule rouge a déversé en moi ses molécules étranges et j’ai traversé plusieurs années de fièvre et de souffrance. Désespoir, hargne inextinguible, peur de m’isoler de plus en plus, sensation de suffoquer au milieu de toute cette merde…

Maintenant, je peux sentir que cette quête évolue mieux que je ne le prévoyais. La colère qui me submergeait à chaque nouvelle prise de conscience, m’habite toujours mais en toile de fond, comme un leitmotiv dans mes actions et réflexions. Au contraire, ces nombreuses prises de conscience que j’ai vécues comme des baffes, viennent en quelque sorte relativiser les choses que je découvre aujourd’hui. Je ne me sens pas anesthésié’ pour autant, ça me touche, mais ça ne me désespère plus. Le monde a cessé de s’écrouler autour de moi : vu que ça, c’est fait. Et je ne le regrette pas, bien au contraire ! Mes anciennes croyances sur le fait qu’un semblant de justice existerait dans tel ou tel domaine, sur la neutralité de certains auteurs, de certains outils, etc, ont disparu et j’en ai fait le deuil. Tout ça me désespérait et me prenait beaucoup d’énergie. Une fois la désillusion passée, je constate que je peux faire avec.

Mes fréquentations ont été impactées par ce chambardement qui a eu lieu dans ma vie : je ne pouvais plus supporter les gens qui tenaient des propos sexistes, et je découvrais de plus en plus le sexisme contenu dans des idées banales, dans des phrases anodines. Ça m’a forcé à faire un peu le tri dans mes relations, ça m’a éloigné de certaines personnes ; j’en ai aussi rencontré d’autres avec qui je partage plus de choses. À peu près à ce moment là, j’ai commencé à réaliser qu’il n’y avait pas un « eux » et un « nous » mais que ce sexisme, ce racisme, toutes ces oppressions, je les véhiculais autant que les autres, que c’était tout le monde. Ça m’a rendu’ plus modeste et j’ai arrêté de partir en croisade, de me retrouver sans arrêt en conflit avec les autres. Ça m’a amené’ à me pencher sur mes propres idées et comportements.

Et ça aussi, au début ça m’a paru insurmontable : tant de choses à changer, des habitudes si bien ancrées, un tel aveuglement… mais en allant dans cette direction, j’ai réalisé que le chemin m’apportait autant que les buts que je m’étais fixés, et même beaucoup plus. J’ai aussi commencé à trouver des récompenses dans mes efforts : des rencontres, des trucs que je comprenais ou qui se mettaient à s’articuler, des activités que je me refusais avant, le bricolage par exemple. Une autre forme d’humour aussi, une expression qui est devenue plus satisfaisante et en même temps plus libérée. Je m’aperçois que j’ai pris de l’aisance pour expliquer certaines choses, que je peux amener les gens à comprendre des trucs sans forcément les heurter. C’est une façon stimulante de me rendre utile, ça me pousse à creuser et ça me permet de partager.

Le chemin n’a pas de fin, c’est une idée qui m’a d’abord écrasé’. En fait ça m’a permis de revoir mes exigences à la baisse : je ne peux pas cesser totalement de véhiculer ces oppressions, je peux seulement faire de mon mieux. Je me sens à la fois réconcilié avec moi-même, et plus léger’ : je sais enfin quoi faire, par quel bout prendre le problème. Je ne suis pas un super-héros et je ne sauverai pas le monde, par contre je peux agir concrètement sans attendre le grand soir. J’ai même appris à faire des compromis dans ma vie, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai trouvé mes repères, les choses qui me vont, celles que je peux accepter, celles que je combats avec ou sans diplomatie, et celles que j’évite simplement, sans me prendre la tête, comme j’évite de manger trop pimenté ou d’avoir à marcher vite pendant mes règles.

En résumé je dirais que oui, je vais devoir m’y coller pendant le reste de ma vie, mais que je me suis formé’ à ça. Je me sens rôdé’, c’est devenu supportable et même parfois joyeux. Je suis tout simplement en chemin. Et vive la pilule rouge !

Compte-rendu : BDSM et féminismes

Publié: 20 juin 2016 par Spangle dans uncategorized

Contre-poison

Publié: 11 novembre 2015 par jmenti dans 3615mavie
Tags:, , ,

Amours unilatéral tue
Amours mort sans vécus
Amours épiscopal rompus
Amours platonique repus
Amour purement crus

Tant d’amours vain pour au final se retrouver à lécher les murs.
Tant d’entrain pour toujours fantasmer de saumure.

Lettre ouverte à tout les prétendants:
Cher geôlier, ces partis d’échec je vous les laisse.
Libre à vous de croire que je suis mate par forfais.
Torturer vous de ridicule annexion, et ennuyer vous à garder vos territoire conquis.
Ils sont si pauvre et limiter que voudriez vous que j’en fasse.Que vos méthode sois autoritaire, affectueuse ou floue.
Que votre voix sois forte, mielleuse ou sourde.
Vous êtes tous semblable, user de dissuasion  pour conserver votre capital.
Et quand vous partager votre pain, vous essuyer une perte !
Moi je choisi que ma liberté s’exprime au mieux quand je n’est rien à perdre.
Je me passe très bien d’un quelconque capital chiffrable.
Je préfère me déplacer en territoire infinie.
Je peut valser, avec des ombres certes, mais autant que je le désir.
C’est des fentes plus subtil, que je pénètre, et cela sans reproduire.
Dans la folie je trouve ma véritable jouissance,
et quand je partage mes faim, je me nourris.
Gardez donc vos ère guerrière, vos victoire sanglante, vos garde inquiète, vos bilan coupable, vos chiffre capital, vos manière semblable, vos triste pertes, vos pauvre méthode, et surtout votre compte à rebours.
Car ce qui est dangereux en amour n’est pas de compté mais de mécompter, en écartant le potentiel illimité du subtil de l’absurde et de la folie. Sachez bien que je suis constamment entrain de rire de vous, que je dévore vos reste en votre absence, et que je vous talonne attendant le moment propice de vous renverser…

Mouahaha me voila guéris.
De quel maladie ?
La jalousie !

Plusieures femmes travaillant au lycée Condé subissent un harcèlement de la part du proviseur. Elles ont osé parler, saluons leur courage. L’une d’entre elles est actuellement hospitalisée ; les autres travaillent dans la peur de croiser ce type, qui est leur supérieur hiérarchique.

Pour l’une au moins, il s’agit d’un harcèlement sexuel caractérisé : avances, allusions sexuelles, contacts physiques imposés. Devant ses refus répétés, le proviseur est passé au harcèlement moral : reproches gratuits, convocations en série, bâtons dans les roues, dévalorisation systématique. Mais comme elle le sait trop bien : qu’est une victime pour évoquer des faits qu’elle ne pourra pas prouver ?

La norme en matière de harcèlement est malheureusement que ce sont les victimes qui doivent partir afin de « régler » le problème. En l’occurrence, s’agissant d’un harcèlement en série, les autres femmes travaillant dans ce lycée resteraient de toute façon très menacées. Et quand le rectorat parle de (ne pas) muter ce proviseur, cela sonne comme une plaisanterie : en quoi être muté le ferait-il cesser de harceler ?

En revanche, suspendre ce proviseur relèverait du simple bon sens et correspondrait à la situation présente (des accusations multiples et graves, la qualification de « harcèlement caractérisé » par le médecin du rectorat). Le suspendre ne serait pas prendre parti (ce dont l’éducation nationale ne se prive pas dans d’autres circonstances) mais prendre une précaution.

Las, le recteur préfère parler d’instrumentalisation, d’amalgame, de soupçons gratuits, de dérapage (!) et dire qu’ « il faut faire la part des choses entre ce qui relève de l’interpersonnel et ce qui relève du professionnel. » (il n’a visiblement pas la moindre idée de ce qu’est un harcèlement). Il faut « dialoguer » et « revenir au sens des responsabilités »… Après tout, peut-être que son proviseur pourrait se contenter d’une petite pipe ?

Les personnels du lycée sont en grève depuis la rentrée en soutien à leurs collègues, obligées de côtoyer leur agresseur pour garder leur travail. Une manif aura lieu mardi à 12h30 devant le lycée (place Marulaz).

Vous remarquerez comme je ne parle pas de droits, de légitimité ou de réparations. Je parle d’un objectif modeste : obtenir la protection temporaire des victimes sur leur lieu de travail, et surtout je parle de solidarité. Ben voui, comme d’hab c’est tout ce qu’on a.

Trigger

Publié: 25 août 2015 par Spangle dans 3615mavie, cris
Tags:, ,

C’est un mot anglais qui veut dire « gâchette ». Il désigne l’élément déclencheur d’une crise de stress chez une personne atteinte de sspt (syndrome de stress post-traumatique). Un stimulus anodin qui, en réveillant la mémoire traumatique, plonge la personne dans un état de stress imprévisible et incontrôlable.

Il ne s’agit pas d’un « mauvais souvenir » normal. La mémoire traumatique est une mémoire figée, sans mots. Lors du traumatisme, les informations qui arrivent au cerveau déclenchent, une fois interprétées, un afflux d’hormones de stress. Pour éviter la surdose, la transmission de ces informations est alors interrompue entre la zone du cerveau qui les reçoit, et celle qui les interprète et les archive comme souvenirs. Les perceptions qu’on a eues à ce moment-là restent dans une zone du cerveau qui ne les « comprend » pas, figées sous forme d’informations sensorielles brutes.

Parfois cela crée une amnésie totale. Souvent c’est plus mitigé, une partie des informations a été transformée en souvenirs accessibles à la conscience. Mais dans tous les cas, « le corps se souvient », c’est à dire que dans cette partie du cerveau, certaines perceptions peuvent être comparées à celles-là et considérées comme apparentées. L’information qui est alors transmise est une sorte d’alerte générale, un stress de la même intensité que lors du traumatisme. Avec ou sans reviviscences, que la personne comprenne ou non ce qui lui arrive, elle se retrouve projetée dans un état émotionnel de panique et de détresse intense.

Les raisons pour lesquelles une perception « normale » peut rappeler la mémoire traumatique, ne relèvent pas de l’intellect puisque les informations n’ont pas été interprétées. C’est pourquoi il est souvent impossible de prévoir que cette association sera faite. N’importe quelle situation, idée ou perception peut déclencher la mémoire traumatique. Cependant, même si la plupart des trigger ne sont pas aussi intellectuels, les évocations des traumatismes les plus répandus (viol, agression, accident) peuvent déclencher une crise de stress post-traumatique chez les personnes l’ayant vécu, qui sont nombreuses. C’est pourquoi il est recommandé d’avertir les gens avant de leur mettre sous le nez des images ou des mots évoquant crument ces situations (« trigger warning »).

Quelques exemples de trucs qui m’ont trigger :

– mes règles

– de l’huile de massage

– parler de couloirs d’hôpital

– un tour dans une charrette à vélo

– un cuni

– parler de viols de guerre

– passer devant une église

– avoir les oreilles bouchées

– plein de films

– ce soir, je sais pas

Trigger warning : Le texte qui suit évoque la survenue d’une crise de stress post-traumatique, ainsi que des souvenirs d’agression sexuelle. Cela peut impacter les personnes atteintes de sspt, voire leurs proches. Si vous pensez être concerné’, ne continuez la lecture que si vous êtes en bonne condition et dans un environnement protecteur.

Tu es en train de zoner sur ton canapé, et tout d’un coup ça te tire par la manche. D’abord l’impression qu’une main, un bras, appuie sur ton sein. Puis le visage du conard, tout souriant, content de t’avoir à sa merci. Une pelle qu’il t’a roulée. L’eau tiède et satinée du jacuzzi. Des bouts de souvenirs reviennent, de plus en plus vite. Tu finis par réagir. Ouais, parce que maintenant tu arrives à réagir. Tu cries dans ta tête : ta gueule, ta gueule, ta gueule, ta GUEULE, ta gueeeeeuuuule ! Les images s’arrêtent comme un représentant sur le pas de ta porte. Menacent de s’y amonceler et de te tomber dessus. Du bluff. Juste les tenir à distance.

Tu te dis que peut-être, tu peux travailler sur ce traumatisme pendant la crise. Profiter qu’il est là pour l’apprivoiser. Tu tâtes. Ça amène quelques larmes. Non, c’est un mur, un casse-tête, aucune prise. Il n’y a rien à faire pour cette fois. Parfois ça arrive, parfois tu peux racler le truc avec tes ongles et en effriter quelques bouts. Mais pas à tous les coups.

Il faut juste tenir. Attendre que ça passe, aussi longtemps qu’il faudra. Tu te concentres sur ton poil hérissé, ta peau qui frissonne. Tu prends conscience de ta mâchoire serrée, de tes sourcils froncés à se rejoindre. Tu te laisses distraire et ça revient. Ta ggggggggueule. Noooon, pas celui-là, noooon.

Mentalement, tu repousses à coups de pieds un truc, sans regarder ce que c’est. Surtout ne pas regarder. Tu sais juste que c’en est un bien moche. Un deuxième le rejoint. Ils s’accrochent. Tu savates, tu savates, tu sais que quand tu arrêteras ils n’auront pas reculé d’un pouce. Et meeerde, la voilà qui s’amène, celle-là. La sensation de ton sexe ouvert en grand, vulnérable à l’univers entier. Ton sexe qui devient plus grand que tout le reste de ton corps. L’impression de te transformer en entonnoir géant. Ça tu n’y peux rien, il faut faire avec. Comme une nausée. D’ailleurs tu as aussi la nausée.

Et faim. Ça c’est un bon point, tu sais que ça va t’aider quand tu pourras commencer à sortir de là. Ou même tout de suite ; ce petit tiraillement à l’estomac, ça n’appartient pas au souvenir. C’est du réel, du présent. Tu t’y accroches. Tu te hisses. Un pied dans le réel. Super. Fais gaffe t’es encore au bord, et vas te préparer, heu, une tartine de nutella. Doucement, doouuucement.

Tu bouges à petits pas, les coudes collés au corps, la tête baissée, rentrée dans le cou. Pas de secousses. Champ de vision rétracté au maximum. Pas laisser tes pensées traîner par là. Regarder le pot de nutella. Penser « pot de nutella ». Regarder le couteau. Penser « couteau ». Regarder le pain. Penser « tartiner ». T’occupes pas de la géante rouge, de la galaxie qui spirale entre tes jambes. T’occupes, c’est rien. Mords dans ta tartine. Ah non, oups, pas tout de suite sinon pleurer, retomber dedans. Pas manger tout de suite. Faire un thé d’abord. Poser la tartine, faire du thé en cherchant dans quelle direction tu pourrais lancer ta pensée pour qu’elle s’éloigne de… de ça, enfin qu’elle s’éloigne. En ligne droite d’abord, puis en reprenant peu à peu sa liberté de mouvement. Du thé. Thé. Du thé.

*

Juste une précision pour les gens qui ne connaissent pas : ça c’est une toute petite crise bien gérée qui tourne bien. Deux heures accroché’ à une falaise, un début de migraine, ce n’est pas exactement une crise de sspt, plutôt le stade « guérison bien avancée », et « j’ai eu du bol pour cette fois ».
Une vraie crise, c’est par exemple la fois où les voisins n’ont jamais osé me parler des cris qu’ils ont entendu (moi à leur place j’aurais appelé les flics, une ambulance et mon pote le videur). Une vraie crise, c’est un cauchemar arrêté, t’as même pas envie de mourir parce que pour ça faudrait pouvoir penser. Et plusieurs jours de lit pour t’en remettre. Entre les deux tu sais pas, t’étais plus là. Mais du coup c’est plus difficile à raconter. Vous pouvez peut-être juste souhaiter que ça vous arrive jamais.

C’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi*

Il y a quelque chose de spécial entre nous*

On est en couple*

On vit ensemble*

Il m’envoie des textos tendres*

Son sourire m’emplit de bonheur*

Il se frotte contre moi*

Ses fondants au chocolat sont les meilleurs du monde*

Il m’a présenté sa famille*

Il m’a proposé d’arrêter la pilule*

Il veut qu’on se marie*

Je me suis fait belle pour son anniversaire*

Je lui ai fait un strip-tease*

Parfois il me lèche le visage*

Il m’excite*

On baise, on fume une clope et on remet ça, toute la nuit*

C’est la personne qui m’a fait découvrir mon corps*

Une fois, on a fait un plan à trois*

On se regarde en allant se coucher, et on sourit*

On se dispute tout le temps mais on s’aime*

C’est quelqu’un qui a changé ma vie*

La lecture n’est pas terminée ! Survolez les astérisques rouges*

Du métier de modèle

Publié: 13 juin 2015 par Spangle dans 3615mavie, nos textes
Tags:, , , , ,

Quand j’étais étudiante, j’ai travaillé comme modèle pour un petit club de dessin. C’est là que j’ai appris que mon corps n’était pas nécessairement une chose à cacher, ou à ne montrer que transformée, parée d’artifices. Un corps, un quelconque corps, présente tel quel un intérêt esthétique fort et diversifié, sans avoir besoin de répondre à des normes, d’être mis en valeur, mis en scène, et sans non plus être obligatoirement féminin. Ma surprise en apprenant que les beaux-arts recrutaient des modèles indifféremment féminins ou masculins, a fait partie de mon évolution féministe, de ma déconstruction des mythes sur une nature d’objet pour le regard qui serait spécifique au corps féminin.

une étude de nu

une étude de nu

C’est dans ce club de dessin que j’ai appris que modèle était un métier. En étant rémunérée d’abord, et plutôt bien puisque je touchais alors 300 francs pour ces deux heures de pose (le smic mensuel devait être d’environ 6000 francs à l’époque). Vers la fin de l’année, le club m’a annoncé que son budget pour me payer était épuisé. L’une des gentilles vieilles dames me jetait des sortes d’oeillades tout en parlant, tandis que l’autre l’empêchait de formuler clairement sa demande : puisque mon salaire avait été mal calculé, un peu surestimé, je pourrais peut-être terminer l’année bénévolement ? Je n’ai pas entendu cette demande, n’y ai pas accédé ; d’abord avec un léger pincement de culpabilité, mais après réflexion, avec légèreté et sûre d’être dans mon bon droit. C’était un travail, et même si il était plaisant je le faisais pour être payée.

L’idée que cette activité était un « vrai » métier ne m’avait pas effleuré auparavant. Tout le monde pose de temps à autre, pour une photo, par exemple. Tout le monde offre aussi parfois son écoute, son soutien, et souvent son analyse et ses conseils, à des proches en détresse psychologique ou en questionnement. C’est ainsi que le métier de psychologue peut sembler trivial aux profanes : parler, écouter, tout le monde sait faire ça. Je voyais de même l’activité de modèle comme indistincte des diverses autres activités de ma vie. Quelle chance, m’étais-je dit en voyant l’annonce : être payée pour faire quelque chose qui relève du loisir. Si j’ai beaucoup aimé être modèle, ce fut finalement pour d’autres raisons.

Le travail de modèle, j’avais d’abord imaginé qu’il consistait à vendre son corps immobile, à laisser autrui tirer parti d’une image passivement présentée. Exister devant un regard, pour un regard, voilà tout. Le premier jour, j’ai demandé au prof comment je devais me mettre. Il m’a laissée libre de choisir ma pose, c’est à dire qu’il m’en a confié la responsabilité. Sa seule consigne a été d’éviter les poses difficiles à dessiner, en particulier les raccourcis (lorsqu’un membre, un bras par exemple, est orienté en direction des dessinateurs, et qu’il leur faut représenter le poignet et l’épaule presque côte à côte pour rendre compte de la perspective). J’ai donc dû, non simplement poser, mais faire ce travail-là : réfléchir pour les dessinateurs à une pose qui leur serait profitable. Travail certes pas très difficile, mais relevant du technique. J’étais partie prenante de l’activité d’enseignement, spécialiste de mon image.

Cette fois-là, prise au dépourvu, j’ai choisi de rester tout simplement debout, les bras ballants face aux dessinateurs. J’ai très vite compris mon erreur ! Se tenir debout fait reposer tout le poids du corps sur la faible surface des métatarses et des talons. D’ordinaire, la position reste confortable en raison des divers mouvements, pas et balancements opérés spontanément. L’équilibre du corps est également maintenu de façon dynamique. Dans cette pose, la pesée s’exerce constamment et comprime fortement les zones de contact avec le sol. Le sang descendu dans les jambes n’est plus renvoyé vers le haut par le massage des veines que procure le mouvement. Quant à l’équilibre, lorsqu’on s’interdit de décoller ses pieds du sol, il doit sans cesse être réajusté en augmentant l’appui sur un côté ou l’autre du pied.

Cette première expérience, quoiqu’un peu supplicielle, m’a permis de découvrir plusieurs aspects de mon nouveau métier, que j’ai approfondis par la suite : une pose doit convenir aux dessinateurs, mais également être aussi confortable que possible pour le modèle ; la douleur qui accompagne à des degrés divers (souvent faibles, rassurez-vous) toute pose un peu longue ou difficile, peut être gérée par différentes techniques mentales, ainsi qu’en détendant consciemment certains muscles. Il faut aussi savoir ne pas considérer d’emblée la pose comme définitive, mais la laisser s’ajuster durant quelques minutes, en surveillant la manière dont le corps se l’approprie.

J’ai dû apprendre à tenir la pose. Cela peut sembler tout simple, mais en réalité la conscience de la disposition exacte de son corps, des mouvements involontaires qui l’animent, et la connaissance des moyens de rectifier en permanence sa posture, n’ont rien de spontané ni d’intutif. La position de la tête par exemple, qui doit être dressée, inclinée et tournée avec précision ; on peut prendre quelques repères en observant et en mémorisant les limites de son champ de vision proche et lointain, afin de contrôler les variations qui surviennent. Le regard et l’expression du visage doivent eux aussi trouver leur forme stable, puis être maintenus rigoureusement.

D’autres aspects de ce travail me sont apparus par la suite. J’ai commencé par me procurer un peignoire, afin de marquer clairement la distinction entre ma nudité de modèle et ma tenue lors de mes temps de pause (dont je décidais librement). Dans tout métier, les pauses sont distinguées du temps de travail par divers moyens : changement de lieu, cigarette, etc, la distinction étant d’autant plus importante à faire que le travail « ne se voit pas » (la personne doit alors montrer son indisponiblité). Le peignoir était donc mon marqueur de pause, et la nudité ma tenue de travail. Roland Barthes explique comment la strip-teaseuse professionnelle est revêtue de sa fonction alors même qu’elle est nue, réflexion qui s’applique également aux modèles.

Enfin, j’ai compris en exerçant ce métier que la nature de la transaction n’était pas de vendre mon corps, ni même mon image. Comme dans tout travail salarié, il s’agissait de vendre mon temps. Face à cette réalité, j’ai développé des stratégies que l’on retrouve partout dans le monde du travail : observer la pendule jusqu’à attendre chaque avancée de la trotteuse ; ne pas observer la pendule, aussi longtemps que possible ; et, beaucoup plus efficace, m’absorber dans une sorte de transe, un état de semi-vigilance qui exigeait toutefois de maintenir mon attention envers la position et les mouvements de mon corps. J’ai apprécié les moments passés avec les dessinateurs, avant et après la séance, mais j’ai aussi apprécié qu’ils soient brefs, car j’avais hâte de rentrer et de retourner à mes occupations personnelles.

*

Pour conclure, je dirais que tout ceci m’a préparé à comprendre ce qu’était le métier de pute. Une activité qui parait aller de soi, que tout le monde pratique, mais qui présente des aspects techniques spécifiques lorsqu’on l’exerce de manière professionnelle. Une rétribution qui légitime, renforce l’estime de soi, et restaure une saine paresse vis à vis du stress indécent qui est le lot des employés ordinaires. Un métier qui semble impliquer fortement l’intime, mais qui passe en réalité par un rôle, comme pour la nudité de la strip-teaseuse. Une dimension corporelle très présente, et à travers cette dimension, l’idée reçue que ce métier consisterait à « vendre son corps », alors que l’on vend son temps comme n’importe quel travailleur.

J’ai adoré exercer ce métier, bien que j’aie parfois enduré la fatigue ou guetté la pendule. L’un de ses aspects, à peu près absent du métier de modèle, est la dimension humaine. Mes clients étaient des gens ordinaires, tous différents, généralement très agréables, et j’ai beaucoup appris à leur contact. Les frangines, mes collègues, sont elles aussi pour la plupart de belles personnes, fortes et libres, qui m’ont apporté tout autant. Les uns et les autres font toujours partie de ma vie, et je pense à ces deux moments de mon histoire, la période où j’ai été modèle et celle où j’ai travaillé comme pute, avec tendresse et fierté.

voguing

Lorsque la visibilité s’avère être une exploitation apolitique, nous n’avons pas à l’approuver.

Article original de Radical Faggot : https://radfag.wordpress.com/2015/05/31/vogue-is-not-for-you-deciding-whom-we-give-our-art-to/ (Vogue Is Not For You : Deciding Whom We Give Our Art To)
Traduction de Spangle – Vos remarques sont les bienvenues.

Le voguing n’est pas fait pour vous : décider à qui nous transmettons notre art

Quand j’ai commencé à faire du voguing, j’étais un lycéen de seize ans.

Me battre pour comprendre ce que voulait dire être gay et Noir, aussi bien qu’apprendre le voguing sur la scène de bal, sont deux choses qui m’ont délivré et ont allumé en moi de toutes nouvelles passions. Il ne m’était jamais arrivé de pouvoir être ouvertement queer sans sacrifier ma Négritude. Il ne m’était jamais arrivé que des communautés entières, des traditions entières, des histoires entières existent et soient Noires, queer, Métisses, fem, trans, pauvres et ouvrières tout à la fois. Mon intérêt initial pour le voguing a donc été inspiré par un profond désir d’être toutes les parts de moi-même authentiquement et simultanément.

Apprendre à faire du voguing, c’était apprendre que la connaissance incorporée de mes multiples identités opprimées s’étaient toujours éclairées mutuellement. Une fois que j’eus compris cela à travers mon propre corps, j’ai appris à le voir dans ma famille, ma communauté et les structures plus grandes qui régissaient ma vie.

Chaque semaine au moins, quelqu’un m’envoie un article ou une vidéo dans laquelle du voguing est produit sur une piste européenne, dans une prestigieuse galerie d’art ou un clip d’artiste pop, et me demande ce que j’en pense. La question tourne toujours autour de l’usage éthique du voguing : Les danseurs sont-ils nommés et crédités ? L’artiste a-t-elle dédommagé correctement les voguers avec lesquels elle a travaillé ? Qui compose le public consommant cette danse ? En définitive, la question est : peut-on s’approprier le voguing de manière appropriée ?

Ma réponse est toujours la même : Non, on ne peut pas. L’appropriation est une forme de coercition, et cette coercition est née de la suprématie blanche. Voici ce que je veux dire :

Il y a une longue histoire de supématie blanche sur la scène de bal. Elle a été en grande partie mise en évidence, de façon controversée, dans le classique culte Paris Is Burning. La thèse du film est en définitive que les personnes trans/queer de couleur sont lésées jusque dans leur propre marginalité dépravée, et bien que leur quête de reconnaissance par le milieu mainstream soit futile, elle est au moins pailletée. Bien que le film lui-même soit issu de la suprématie blanche (et ses conclusions sur la scène de bal orientées par son metteur en scène blanc et cis), son existence même dévoile quelque chose de vrai : le fait que notre communauté trouve sa valeur dans sa consommation par des communautés plus privilégiées, pose réellement problème.

Le voguing fait un tabac dans les studios de danse européens, dans les centres de loisirs de banlieue, au cinéma et dans les clips. Comme cela est le cas depuis longtemps, les voguers ne semblent pas eux-mêmes se voir comme ayant du succès, ni sentir qu’ils peuvent être pris au sérieux en tant que danseurs, jusqu’à ce qu’ils puissent enseigner, se produire ou être représentés sur l’une de ces plateformes. Le message internalisé est clair : faire du voguing dans un club est le point de départ, mais c’est faire du voguing pour les élites qui est la marque du succès.

Cette mentalité a pour effet un désinvestissement au sein des communautés queer pauvres et ouvrières, au profit de l’enseignement du voguing dans des lieux qui ne l’ont pas créé, qui ne lui ont pas donné forme, mais qui sont fascinés par lui et ont les moyens de le consommer. Au lieu que les meilleurs voguers tirent leur fierté de transmettre leur savoir aux jeunes opprimés qui en ont le plus besoin, les nouvelles générations de notre communauté sont délaissées pour la notoriété d’une clientèle blanche, riche, straight et cis. Les opportunités de mentorat, d’empowerment et de solidarité intergénérationnelle sont perdues, et l’alternative ne fait qu’invisibiliser un peu plus la détresse de notre communauté – laissant les sans-abri, la pauvreté, la violence d’état et les brutalités policières dans l’ombre, derrière l’éclat superficiel du spectacle commercial.

Et oui, même quand des artistes de couleur s’approprient notre forme d’art, la suprématie blanche n’en est pas moins à l’oeuvre. Beyonce, Kelly Rowland, Jennifer Lopez, Estelle, Janelle Monae, Lil Mama ou FKA Twigs ont tout autant à voir avec notre exploitation que Madonna, Lady Gaga et Jennie Livingston. Car, philosophie mise à part, les emprunts à notre culture dans le travail de ces artistes (institutionnels) n’ont rien fait -et ne font rien- pour mettre en lumière notre histoire de luttes, ni pour combattre les structures qui sont à l’origine de nos besoins de résistance. Les cis, les straight, les riches, et même ceux qui partagent certaines de nos autres identités opprimées, n’en profanent pas moins notre art et notre communauté quand ils objectifient notre esthétique, sans prendre en considération les voies par lesquelles ils bénéficient de la violence à laquelle nous sommes confrontés dans les mains des systèmes qui leur signent des chèques.

Parce qu’il y a une histoire est si longue et si bien décrite de l’appropriation du voguing, c’est l’une de celles où je fais de mon mieux pour prendre une direction différente et l’interrompre. Je n’enseignerai pas le voguing à des danseurs professionnels, à des compagnies qui veulent s’en servir pour leur chorégraphie. Je ne l’enseignerai pas dans des lieux blancs, dans des lieux riches, dans des lieux qui ne soient pas contrôlés par des queers et affichés comme tels. La conviction qui me fait adopter cette posture est la suivante :

Le voguing appartient aux personnes queer de couleur – en particulier aux trans, aux pauvres, aux travailleurs, aux travailleurs du sexe, aux sans-abri et aux jeunes queer de couleur. Nous l’avons créé, nous devons être ceux qui le dansent, et nous devons être ceux qui le protègent. Dans une société qui limite constamment notre accès au logement, à l’éducation, à la terre et à tous les types de ressources, il est risible de voir les privilégiés si ennuyés que nous limitions leur accès à nos corps, à nos traditions et à notre génie. Quiconque se plaint qu’on lui dise qu’iel ne peut pas faire du voguing, devrait commencer par se demander en quoi iel est impacté’ par les systèmes qui causent quotidiennement la mort de personnes queer de couleur, et ce qu’iel fait pour combattre notre mise à l’écart institutionnelle.

Je travaille actuellement dans un centre d’accueil pour trans sans-abri et jeunes queer. Le voguing fait partie de notre pratique quotidienne. Chaque jour je regarde des jeunes queer s’en servir pour résoudre des conflits, se remonter le moral quand ils se sentent abattus, affirmer leur corps, construire leur confiance en eux et se déterminer en tant qu’artistes, enseignants et leaders dans leur communauté. Il n’y a rien de plus puissant à voir, et je ne peux imaginer meilleur usage de cette forme.

J’ai la chance de pouvoir co-animer des ateliers de voguing dans ce centre d’accueil. Les lignes directrices sur lesquelles reposent la philosophie et les valeurs de nos ateliers, celles que nous faisons de notre mieux pour intégrer à chaque nouvelle session, sont celles-ci :

Nous avons un savoir – Nos expériences vécues en tant que Noirs, Métisses, pauvres, travailleurs, sans-abri, migrants, travailleurs du sexe, trans et queer nous ont appris des techniques, nous ont apporté un savoir que personne d’autre ne peut revendiquer, même en étudiant ou en lisant énormément à propos de nous.

Nous avons le droit de partager notre savoir les uns avec les autres – Notre sagesse est réelle et valable, et nous sommes les destinataires légitimes des savoirs appris les uns des autres. Les vérités que nous détenons ne tirent pas leur valeur du fait que des gens extérieurs à notre communauté leur portent de l’intérêt. Elles tirent leur valeur du fait qu’elles émanent de nous !

Nos besoins évoluent – Les conditions dont nous avons besoin pour partager notre savoir – tout comme les conditions dont nous avons besoin pour vivre pleinement nos vies – changent au fur et à mesure que nous changeons. Notre espace d’apprentissage, nos communautés et nos mouvements doivent être flexibles pour changer avec nous. C’est à nous de déterminer quand, où et comment ces changements auront lieu.

Nous sommes des experts – Nous sommes les voix qui doivent être entendues, et nous sommes ceux qui ont le plus besoin de les entendre. Personne ne comprend la queeritude, la transidentité, le fait d’être sans-abri, plus profondément que nous-mêmes. Personne n’est mieux préparé à nous enseigner comment survivre que nous le sommes. Personne ne peut se représenter une vision plus vivante de l’avenir de notre communauté que nous le pouvons nous-mêmes.

Notre histoire se passe maintenant – Nous sommes des vecteurs de changement ! Nous sommes ceux qui dessinent le futur de notre communauté ! Cette prise de conscience nous apprend à bâtir nos communautés sur la confiance, la générosité et l’affirmation, et à agir avec la conscience que les générations futures de notre peuple dépendent de nous !

Ce qui est important dans tout cela est que le voguing est un outil que nous avons créé, pas seulement pour l’expression, mais pour nous organiser, gagner en puissance, et survivre à la violence quotidienne d’une société suprémaciste blanche. Cet outil n’aura jamais le même sens, ne pourra jamais servir le même but, entre les mains de personnes qui ne partagent pas notre besoin de survie.

L’idée gentillette selon laquelle franchir des frontières ferait avancer la diversité, et partager l’espace et la culture reviendrait à partager les privilèges et les ressources, doit être débusquée. Car cette même douce réthorique détruit les communautés Noire et Métisse, met des gens à la rue de force et remplit les prisons. La vérité est que lorsque les puissants franchissent des frontières, le flux tend à être unilatéral. Lorsque les riches mettent la main sur notre culture, le résultat est que nous sommes supplantés et non inclus. On arrive finalement à la dépolitisation de nos sources de résistance les plus sacrées, ce qui ne profite qu’à ceux qui veulent étouffer nos demandes de changement.

La meilleure manière de soutenir notre communauté, de nous montrer de l’amour, est de nous laisser la place de nous affirmer nous-mêmes et les uns les autres, et de partager notre sagesse avec ceux qui en ont réellement besoin. C’est de se battre à nos côtés contre les systèmes qui nous refusent les droits et ressources les plus élémentaires -hétérosexisme, transphobie, prisons, maintien de l’ordre, gentrification- et non de nous dépouiller un peu plus au nom de la visibilité et de la tolérance.

Remerciements à NIC Kay.

NdT : À titre d’exemple, voici une petite vidéo qui montre un peu de voguing et beaucoup d’appropriation illégitime : http://www.liberation.fr/culture/2013/09/25/le-voguing-de-l-underground-au-mainstream_934577

Bientôt, pour la trente-sept-millième fois de ma vie, au moment de se dire bonjour, un type s’approchera de ma joue en ignorant ma main tendue ou le fait qu’on vient de se serrer la main. Il dira « je te fais la bise, hein » tout en le faisant, et le timing de son geste ne me permettra pas de refuser poliment.

Mais contrairement aux trente-six mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois précédentes, je ne choisirai pas entre subir ce contact imposé, avec ou sans protestation a posteriori, ou me reculer brutalement en donnant l’impression d’avoir un comportement inapproprié et en me faisant sommer de rendre des comptes.

Non, cette fois-ci, je le laisserai s’approcher et déposer sa bave sur ma joue sans mon consentement… et je riposterai ! C’est à dire que pour ma part, je lui ferai une bonne grosse léchouille, un « bisou de vache » comme dit mon fils.

bisou_de_vache

Comme il ne manquera pas de protester et que je suis très sympa, je lui expliquerai gentiment que c’est le seul choix qu’il m’a laissé pour équilibrer la situation : à contact imposé, contact imposé et demi !

Ce 2 juin 2015 marque le quarantième anniversaire du mouvement des prostituées lyonnaises qui occupèrent l’église St-Nizier pour une dizaine de jours. Le retentissement de cette action fut tel que cette date est devenue la Journée internationale des luttes des travailleuses du sexe.

Cabiria vous invite à découvrir cette mobilisation à travers une exposition qui retrace la genèse et le déroulement de ce mouvement, les revendications portées par les prostituées, les solidarités tissées, les réactions des politiques, le relais dans la presse.

S’arrêter sur « l’occupation de St-Nizier » nous permet aussi de faire le point, aujourd’hui, sur les conditions d’exercice actuelles des travailleuses du sexe, sur les droits qu’il reste à conquérir, sur les luttes qu’il reste à mener.

invitation_au_vernissage

Le vernissage aura lieu le mardi 2 juin à 19h, à la La Fourmilière, 15 rue Salomon Reinach, 69007 Lyon. La Fourmilière accueille l’exposition jusqu’au 10 juin.

http://www.cabiria.asso.fr/1975-Occupation-de-l-eglise-St

https://www.facebook.com/events/1093493767331955/

Accueil

Au plaisir de vous y croiser,

Cabiria

On dit souvent sans réfléchir que les femmes ont des règles. Oui, toutes les femmes ont des règles, sauf celles qui n’en ont pas parce que…

– elles sont ménopausées
– elles sont trans
– elles sont enceintes
– elles pèsent quarante kilos
– elles prennent la pilule*
– elles font de l’anémie
– elles ne sont pas encore pubères
– elles ont eu une ablation de l’utérus ou des ovaires
– elles ont un stérilet hormonal, un anneau contraceptif, un implant ou un patch*
– elles sont stressées
– elles ont accouché récemment ou elles allaitent
– elles font du sport de haut niveau
– elles n’ont pas de règles pour une autre raison
– ou bien, sans raison particulière, elles n’ont pas de règles.

Ça fait beaucoup d’exceptions, vous ne trouvez pas ? Est-ce que ces femmes sont *moins* des femmes ?

Quand le discours médical dit « les femmes » il parle en général uniquement des femmes qui ont entre 15 et 45 ans, qui sont cis, hétéro, et dont le corps est prêt pour la reproduction (prendre un contraceptif étant alors le seul cas… à ne pas entraver la reproduction).

Tout comme celui du putride magazine Elle, ce discours nous enseigne qu’il y a d’un côté les « vraies femmes », et de l’autre des freaks, des malades ou des rebuts qui feraient bien de ne pas trop la ramener. Il considère environ les deux tiers des femmes comme des cas marginaux, quand il ne les oblitère pas totalement.

Il y avait plusieurs agresseurs sexuels* à la marche de nuit d’hier soir. Vu le nombre de mecs et le nombre de personnes en tout, j’estime qu’il devait y en avoir une bonne vingtaine ; pas tous conscients de ça, et probablement tous sincèrement solidaires des victimes et des victimes potentielles de ces agressions. Quand j’ai vu que mon ex se trouvait là, tout d’un coup je me suis dit : « hé, mais c’est un agresseur, il a du culot d’être venu ce soir ». Et puis je me suis rendu compte que j’avais à balayer devant ma porte. Moi aussi, j’ai agressé quelqu’un. En douceur, en silence. En couple.

Parce qu’il y a les agressions dont on parle, mais aussi celles qu’on tait, celles qui n’existent pas, celles dont on ne s’aperçoit même pas. Les agressions les plus nombreuses, faites d’attouchement importuns et de « Non mais si, allez, quoi… ». Les abus qui tournent bien, quand ta copine au début elle voulait pas et puis finalement elle est contente que t’aies insisté. Ou en tout cas elle ne s’en plaint pas. Quand elle se réveille le matin et qu’au bout de dix secondes son regard se vide et son sourire s’efface ; qu’elle te demande quand même si t’as bien dormi, mais qu’elle se lève vite pour aller faire du café. Pas qu’elle te fuie, malgré l’étrangeté ; c’est surtout la peur des explications à donner.

Tu t’endormais, et là tu sens la bite de ton copain qu’il presse contre tes cuisses. Tu ne dis rien, tu ne penses plus. Le lit est trop grand pour en sortir. T’espères qu’il va comprendre mais tu comprends que t’espères en vain, et finalement tu te reprends juste assez pour faire semblant que c’est normal. Mais tu t’es pas sentie en danger, et puis sa bite tu la connais, tu te sens pas salie, et après tout c’est pas ton non qu’il a piétiné, juste ton silence. T’avais qu’à lui dire, d’ailleurs c’est pas cool de lui en vouloir, il savait même pas que tu voulais pas. Et surtout c’est tellement dans le cours des choses. Il suffit de pas trop y penser pour écarter le risque de nommer. Il suffit de verser du café dans vos deux tasses et de regarder l’appartement qui est comme d’habitude pour être sûre qu’il n’est rien arrivé.

Bien sûr il y a un monde entre ces viols ordinaires, et un viol « caractéristique ». Un viol avec peur, avec coups, avec saleté. Un viol public, auquel tu fais face comme à un mur, qui te laisse pas le choix d’appeler ça autrement. Il y a un monde et en même temps une parenté, une cohérence. Le barbare et l’insidieux, le terrifiant et le quotidien, chacun de ces viols rend l’autre possible. T’apprends ça sous ta propre couette, t’apprends comme c’est normal et comme tu n’y peux rien. Et tu sais ce qui se passe dehors, quand tu sors, alors quand ça se passe dedans ya rien qui sort.

Espaces à prendre, silences à briser. On était là dans la rue en train de marcher, alors pour compléter j’ai crié. Viole ta copine, pas les passantes. Range-toi du côté des gens qui peuvent faire des conneries mais ça jamais. Prends-toi pour quelqu’un de bien à peu de frais. Viole ta copine, pas les passantes. C’est la réalité ou bien cette phrase qui est choquante ?

Article original : In Support of Baltimore: Or; Smashing Police Cars Is Logical Political Strategy https://radfag.wordpress.com/2015/04/26/in-support-of-baltimore-or-smashing-police-cars-is-logical-political-strategy/ sur le blog de Radical Faggot.

En Soutien à Baltimore : Ou Pourquoi Détruire des Voitures de Police Est une Stratégie Politique Logique

Émeutiers sur Camden Yards à Baltimore, brisant les fenêtres et les pare-brises de voitures de police.

En tant que nation, nous n’arrivons pas à comprendre la stratégie politique Noire, comme nous n’arrivons pas à reconnaitre la valeur de la vie d’un Noir.

Nous ne voyons que ghettos, crime, et parents absents, là où nous devrions voir des communautés luttant activement contre des crises de santé mentale et une exploitation économique préméditée. Et quand nous voyons des voitures de police être cognées, et les biens d’une grande entreprise être détruits, nous devrions y voir des réponses raisonnables à des générations d’extrême violence d’état, et des décisions logiques à propos du type d’actions à mener pour obtenir le résultat politique désiré.

Je suis atterré par le flot de critiques envers les révoltés de Baltimore ce weekend, leur reprochant de ne pas avoir manifesté dans le calme. La rhétorique de la pomme pourrie voudrait nous faire croire que la plupart des manifestants de Baltimore manifestent comme il faudrait, droit qui leur est constitutionnellement reconnu, et qu’un petit nombre perturbent la paix, jetant un discrédit sur le mouvement.

Il vaudrait mieux ignorer cette manœuvre, d’abord à cause de l’omerta quasi-totale des médias sur les actions qui se passent sur le terrain, en particulier durant ce weekend. De même, il est absurde de citer la constitution dans une manifestation pour les droits civiques des Noirs (ce document n’a pas été écrit pour nous, vous vous souvenez ?), et certainement pas dans une manifestation organisée pour attirer l’attention sur le fait que l’état enfreint presque constamment ses propres lois vis-à-vis des opprimés.

Mais il y a quelque chose qui est encore plus problématique. Se réclamer des révoltes « Black Lives Matter » (les vies des Noirs comptent), aussi bien que des réponses organiques à la violence de la police et de l’état, en se disant « non-violent » ou « pacifique », c’est occulter le climat actuel dans lequel ces mouvements agissent et la longue histoire d’émeutes et d’actions directes sur lesquelles ils se sont fondés.

Je ne recommande pas la non-violence -en particulier dans un moment comme celui auquel nous assistons actuellement. Dans l’esprit et les mots des mouvements de militantes féministes Noires et Métisses partout dans le monde, j’estime qu’il est crucial que nous voyons la non-violence comme une tactique, et non comme une philosophie.

La non-violence est une catégorie de performance politique destinée à attirer l’attention et à gagner la sympathie de ceux qui ont des privilèges. Lorsque ceux qui sont hors de la lutte -les blancs, les riches, les straights, les valides, les personnes de genre masculin- ont fait la preuve de façon répétée qu’ils ne s’en souciaient pas, qu’ils ne comptaient pas se mettre en rang de bataille pour défendre les opprimés, c’est une stratégie politique futile. Cela n’échoue pas seulement à répondre aux besoins de la communauté, mais expose réellement les opprimés à un plus grand danger de violence.

Le militantisme consiste en actions concrètes qui défendent nos communautés de la violence. Il consiste en des réponses qui touchent aux buts politiques immédiats de nos communautés, et gèrent les répercussions telles qu’elles arrivent. Il consiste à dire non, à poser et à tenir des limites, à réclamer la restitution des ressources volées. Et de la Libération Queer et du Black Power aux mouvements séculaires pour la souveraineté autochtone et à l’anti-colonialisme, c’est ainsi que nos mouvements d’opprimés ont fait des étincelles, et nous ont sans doute permis de gagner les seules victoires politiques réelles que nous avons eues sous le règne de l’empire.

Nous devons clarifier ce que nous entendons par des mots comme « violence » et « pacifisme ». Parce que, pour être clair, la violence c’est de battre, harceler, tazer, attaquer et abattre des gens Noirs, trans, migrants, femmes et queer ; et c’est cela, la réalité à laquelle beaucoup d’entre nous ont à faire chaque jour. Dire à quelqu’un d’être pacifique et jeter l’opprobre sur son militantisme ne manque pas seulement d’une compréhension politique nuancée et historique, c’est littéralement une demande irresponsable et assassine.

Les objectifs politiques des insurgés de Baltimore ne sont pas flous -exactement comme ils n’étaient pas flous lorsque des Noirs pauvres se sont insurgé à Ferguson la dernière fois. Lorsque le marché libre, la propriété privée, le gouvernement élu, le système législatif, vous ont tous montré qu’ils ne vont pas vous protéger -en fait, qu’ils sont les sources de la plupart de la violence que vous subissez- alors l’action politique se met à être de stopper, même pour un moment, la machine qui essaie de vous tuer ; de vous débarrasser de la botte posée sur votre cou, même si cela ne vous accorde qu’une seconde de respiration. C’est exactement à cela qu’il sert de bloquer des rues, d’entraver le consumérisme blanc, et de détruire ce qui est la propriété de l’état.

Les Noirs savent cela, et ont employé ces tactiques de très longue date. Les traiter de non-civilisés et les encourager à se soucier de la constitution est raciste, et l’argument échoue à se fonder non seulement sur la réalité politique violente dans laquelle les Noirs se trouvent, mais aussi sur nos traditions séculaires de résistance, qui nous ont appris des stratégies de militantisme et d’action concrète qui sont efficaces dans presque tous les autres mouvements pour la justice.

Et bien que je ne croie pas que chaque révolté impliqué dans les attaques de voitures de police et de devantures de chaines de magasins ait la même philosophie et fasse cela pour les mêmes raisons, on ne peut écarter le fait que, lorsqu’il y a un plus grand tollé national pour la défense de baies vitrées et de portières de voitures que pour de jeunes Noirs, cela montre quelque chose ; lorsque l’on prend plus soin de supporters blancs se trouvant à proximité d’une émeute, que des personnes Noires qui font face à la police, cela donne une explication de plus en plus claire de la rage et de la douleur des communautés Noires dans ce pays.

En tenant compte de tout cela, je pense que les évènements de ce weekend soulèvent d’importantes questions pour les futures actions militantes et directes de tous nos mouvements. En plus de coordonner nos objectifs, de forger nos messages et nos types d’action, nous avons besoin de réfléchir soigneusement à ce que pourraient être les résultats de l’action militante sur le long terme. Les stratégies que je suggère, et les questions importantes auxquelles je pense que nous devrions essayer de répondre tandis que nous projetons des actions politiques ou nous y trouvons impliqués, sont celles-ci :

Nuisons-nous à l’état et à la propriété privée, ou nuisons-nous à des personnes, des communautés et des ressources naturelles ? L’effet de notre action perturbe-t-il l’état et la violence du monde des affaires, ou crée-t-il des dommages collatéraux auxquels les plus opprimés seront confrontés (par exemple des familles Noires, des petits entrepreneurs, du personnel d’entretien, etc) ? Imitons-nous la violence d’état en nuisant à des personnes et à l’environnement, ou frappons-nous la propriété de l’état d’une manière qui peut stopper ou ralentir la violence ? Diabolisons-nous le système ou des personnes ?

Qui se trouve dans les parages ? Faisons-nous du mal à des gens alentour quand nous agissons ? Y a-t-il une possibilité de violence pour ceux qui ne sont pas les cibles désignées de notre action ? Impliquons-nous de force dans une action des gens dont la plupart ne le voudraient pas, ou qui ne sont pas prêts pour ça ?

Qui est impliqué dans l’action ? Les gens sont-ils impliqués dans notre action de manière consensuelle, ou simplement parce qu’ils se trouvent dans les parages ? Avons-nous créé des possibilités de partir pour les gens de toutes capacités qui pourraient ne pas vouloir être présents ? Sommes-nous stratégiques dans le choix du lieu et la disposition des corps ? Si notre action a des répercussions violentes, qui y sera exposé ?

Nous devons tenter de répondre à autant de ces questions que possible avant que nos actions aient lieu, si possible en phases organisées. Nous avons aussi besoin de plans de repli et d’options pour changer nos actions sur le moment si les conditions convenues ne sont pas réunies au moment de passer à l’action.

J’ai haussé les épaules quand l’enquête à Ferguson a révélé le « scandale » de mails racistes échangés au sein du gouvernement local, y compris par des gens haut placés du département de police. Je pense que beaucoup d’entre nous savent qu’une enquête sur plus ou moins n’importe quel département de police produirait des trouvailles similaires. Les émeutes de Baltimore ont maintenant montré bien des points communs entre la politique et la direction des deux villes. Quelle sorte d’action a mis en lumière aux yeux des moins concernés ce que les Noirs ont toujours su ? Quelles sortes d’actions seront nécessaires pour faire largement comprendre que tout maintien de l’ordre est un terrorisme raciste, et que la justice ne pourra advenir qu’avec son abolition définitive ?

Black power, Queer power, le pouvoir à Baltimore et à toutes les personnes opprimées qui savent de quoi il est temps.

Article original : Feeling Is Not Weakness: Sadness, Mourning and Movement https://radfag.wordpress.com/2015/05/14/feeling-is-not-weakness-sadness-mourning-and-movement/ sur le blog de Radical Faggot.

Sentiment n’est pas faiblesse : tristesse, deuil et mouvement

Martinez Sutton prend la parole à propos du meurtre de sa sœur Rekia Boyd

Alors que nous construisons notre force collective, comment faisons-nous pour nous autoriser aussi à être vulnérables ?

Beaucoup de mouvements qui ont lieu en ce moment, à une échelle globale (mais en particulier aux États-Unis) représentent des changements politiques que j’ai espéré depuis aussi loin que je me souvienne. De sorte qu’il est difficile de comprendre pourquoi je me suis senti aussi triste ces derniers mois. Cette tristesse est en partie faite de deuil. Chaque jour, il y a de nouveaux noms de femmes trans, d’ados, de gens queer, de pères, de mères, de bébés qui ont été assassinés par la police, ou absorbés dans les prisons. J’entends leurs histoires, je suis témoin des détails révoltants sur les vidéos, gavé de violence implacable. Je suis en deuil face à la perte de leurs voix, leur sagesse, leur lumière. Je pleure pour leurs familles, notre famille. Je suis en deuil des vies de ces jeunes opprimés, de la violence à laquelle ils sont ou seront bientôt confrontés. Mais une autre partie de cette tristesse vient de quelque chose d’autre. Elle vient de la confrontation à une réalité politique qu’il serait, en fait, plus facile d’ignorer. Beaucoup d’entre nous arrivent à se lever le matin, à survivre dans notre quotidien, en n’examinant pas notre oppression de front – en tout cas pas systématiquement. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de ressentir la rage et la douleur qui nous reviennent constamment. Ce n’est pas tenable. Cependant l’émergence d’un mouvement signifie, précisément, une confrontation. Cela crée de nombreux exutoires pour l’expression de cette rage et de cette douleur. Ce qui, en retour, implique de vivre au milieu de notre propre réalité de violence, d’une façon que sinon nous éviterions intentionnellement. En tant que personne racisée qui a longtemps vécu dans des espaces blancs de classe moyenne, j’ai l’habitude de devoir expliquer ad nauseam ma vision des choses de personne opprimée, et j’ai l’habitude de la voir mise de côté. J’ai l’habitude d’être traité avec condescendance par des gens qui n’ont jamais fait l’expérience des épreuves que je vis, et qu’on me dise que je suis trop jeune pour parler des réalités historiques de mon propre peuple. Mais même si l’organisation actuelle expose au grand jour la suffisance blanche, étayant les revendications fatiguées des communautés Noire et Métisse, et même si des membres de ma communauté prennent conscience du véritable état et des objectifs réels des forces de l’ordre dans ce pays, une petite et étrange partie de moi a été révélée. Une toute petite, étrange et triste partie de moi qui aurait voulu qu’ils aient raison, que j’aie exagéré, qui aurait voulu que j’aie inventé tout ça. La légitimation de toutes ces années où j’ai supplié et débattu ne m’a pas permis de me sentir justifié ou plus fort, mais triste. Je suis triste d’avoir raison, triste que notre réalité soit aussi horrible que je l’ai toujours senti. Ironiquement, la vision que j’ai longtemps pressé les autres d’avoir est soudain une chose dont je voudrais pouvoir me détourner. En effet, une autre composante de ma tristesse est de mesurer véritablement ce qu’est la réalité sociale, politique et économique des Noirs et des Métisses dans ce pays. Tandis que les soulèvements, de Ferguson à Baltimore, en ont amené certains à discuter de la violence d’état et de l’apartheid moderne, pour ceux d’entre nous qui vivent cela au quotidien, les mouvements actuels pour la justice nous ont révélé que nos expériences de violence n’étaient ni localisées, ni isolées. Au lieu de connaître simplement les histoires vécues par nos familles, nos amis, et nos propres démêlées avec la justice, on trouve soudain une documentation (inter)nationale sur à quel point nous sommes sans cesse harcelés, emprisonnés, tués, et à quel point l’état peut se permettre de faire ça impunément. Nos témoignages -bien que décisifs dans nos propres vies- se retrouvent soudain, et de manière déstabilisante, situés dans un contexte global, et l’abrupte décompte des morts dresse un tableau qui d’une certaine façon est plus laid encore que lorsque cela concernait seulement notre immeuble, notre voisinage ou notre ville. Il est triste de réaliser que ce n’est pas juste un policier, juste un service. Il est triste de réaliser qu’il y a tout un réseau conçu pour nous faire du mal, et pour protéger ceux qui nous font du mal. Il est déprimant de réaliser à quel point l’étendue de l’empire est redoutable. Qui plus est, ma tristesse comporte de la culpabilité. Je suis coupable d’être triste. La tristesse sent la faiblesse. Je sais très bien que l’enjeu de la propagande contre nous, l’enjeu des meurtres d’état, des acquittements de policiers, du harcèlement et des emprisonnements, est la démoralisation. Je me sens coupable d’être démoralisé. Je devrais être en colère. Je devrais être enflammé d’une passion inextinguible. Je devrais me montrer aussi implacable que l’état. Si je suis triste, l’état a gagné. Si je suis triste, le combat est terminé. Ce que, depuis peu, j’essaie d’avoir à l’esprit, c’est : humanité n’est pas faiblesse. Ce n’est pas une idée dont je viens de prendre conscience, mais que je viens de me donner la permission d’habiter. Les sentiments, bien qu’ils puissent me rendre vulnérable, ne me rendent pas faible. Le deuil est ce que j’ai à faire lorsque des gens que j’aime me sont pris. Souffrir à cause des douloureuses réalités que mon peuple et moi-même vivons, est plus que compréhensible. Cela montre que je n’ai pas succombé, que je n’ai pas accepté la réalité courante, violente, que je n’ai pas abandonné la croyance en ma propre valeur. Les qualités qui rendent l’état accablant, sont celles-là mêmes qui le rendent faible. Une froide dévotion au profit, à l’amassement grotesque de ressources au dépend de la communauté, du peuple et de la planète, ce n’est pas de la force. Il n’y a, en fait, rien de plus triste que de croire au sacrifice de la vie contre des choses matérielles, du contrôle, et du pouvoir. La violence la plus intense -que nous voyons encore accélérer- , l’effacement intentionnel de l’histoire, l’usage de la force militaire, la mise à l’isolement, la négation de droits élémentaires, les attaques, les abus, ne feront jamais cesser nos communautés de ressentir. Cela ne mettra jamais fin à notre amour pour nos propres vies, pour les vies de nos ancêtres, pour les vies de nos enfants. Cela ne nous dissuadera jamais de riposter. Ma tristesse prouve mon amour, et mon amour prouve que je suis mené par de profonds liens spirituels envers mon peuple – passé, présent et à venir. Et exactement comme il serait inapproprié pour nous d’ignorer la violence, d’ignorer la réalité politique de notre oppression, il serait tout aussi inapproprié de faire comme si cela ne nous avait pas atteint, comme si cela ne nous atteignait pas. Être touché par quelque chose ne veut pas dire être faible. Et même, cela montre la présence de toutes les qualités que l’état ne possède pas, toutes les qualités qui font que le combat en vaut la peine, et qui rendent la réalisation de la justice aussi belle que possible. Faire semblant de ne pas être triste, dissimuler ma tristesse, ne me rendra pas plus fort. Étouffer mon véritable moi, renier la peur et la rage qui entourent la perte, c’est cela qui à long terme m’affaiblirait. Quand nous parlons de prendre soin de soi, de se préserver, il nous faut non seulement parler de surmonter notre chagrin, mais de l’autoriser, de lui faire de la place. Il nous faut parler de bâtir un mouvement qui nous autorise à ressentir, de toutes les façons possibles, et qui n’attende pas de nous que nous effacions ou refoulions notre tristesse au nom de l’organisation, du commandement ou de l’activisme. N’avançons pas de manière si décidée que nous ne nous arrêtions pour faire nos deuils. Nous avons le droit de pleurer pour nos pertes, pour nous-mêmes, pour nos familles, pour nos ancêtres. Laissons ce chagrin faire partie de la construction du mouvement, accordons-lui un espace sacré, et laissons-le construire en nous la compassion qui nous propulsera vers de nouvelles batailles.